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Fismes, 5 mars.

Mon frère, faites mettre la note suivante dans le Moniteur:

« Sa Majesté l’empereur et roi avait le 5 son quartier-général à Berry-au-Bac, sur l’Aisne. L’armée ennemie de Blücher, Sacken, Winzingerode et Bulow était en retraite ; sans la trahison du commandant de Soissons, qui a livré ses portes, elle était perdue[1]. »


Fismes, 5 mars.

Monsieur le duc de Feltre, l’ennemi était dans le plus grand embarras, et nous espérions aujourd’hui recueillir le fruit de quelques jours de fatigue, lorsque la trahison ou la bêtise du commandant de Soissons leur a livré cette place.

Le 3, à midi, il est sorti, avec les honneurs de la guerre, et a emmené quatre pièces de canon. Faites arrêter ce misérable, ainsi que les membres du conseil de défense; faites-les traduire par devant une commission militaire composée de généraux ; et, pour Dieu, faites en sorte qu’ils soient fusillés dans les vingt-quatre heures sur la place de Grève ! Il est temps de faire des exemples. Que la sentence soit bien motivée, imprimée, affichée et envoyée partout...[2].


A première vue, ces deux documens semblent prouver d’une façon péremptoire que Napoléon comptait livrer bataille à l’armée de Silésie sur la rive gauche de l’Aisne, et que la prise de Soissons, en permettant à Blücher de passer sur la rive droite, vint traverser ce plan. Ces mots de la lettre à Joseph : « Sans la trahison du commandant de Soissons, l’armée ennemie était perdue » et ces mots de la lettre à Clarke : « L’ennemie était dans le plus grand embarras, et nous espérions aujourd’hui recueillir le fruit de quelques jours de fatigue » sont des plus explicites. Et cependant, à étudier de près la correspondance de Napoléon, du 26 février au 4 mars, ses instructions données aux généraux, les ordres et les rapports de ceux-ci, on est pris de bien des incertitudes sur les véritables intentions de l’empereur. Sans doute son plan général apparaît clairement. Napoléon manœuvre pour atteindre Blücher et, l’ayant battu, pour se retirer vers le nord, afin d’attirer à sa suite l’armée de Bohême. Mais les moyens d’exécution sont loin d’être nettement

  1. Correspondance de Napoléon, n° 21,438.
  2. Cette lettre citée par Thiers (t. XVII, p. 449), n’est pas reproduite dans la Correspondance de Napoléon. Néanmoins on ne saurait douter de son authenticité.
    La conclusion d’une lettre adressée par Marmont au ministre de la guerre, au sujet de la capitulation de Soissons, vaut aussi d’être citée. « C’est, à ce qu’il me semble, une belle occasion pour faire pendre un commandant de place. » Hartennes, 4 mars. (Archives de la guerre.)