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De plus, Moreau prétend être monté au clocher à « la naissance du jour. » Dans les premiers jours de mars, le jour n’apparaît guère qu’à six heures du matin, et à trois heures du matin, Moreau, de retour de la cathédrale, présidait le conseil de défense[1]. Ainsi, en pleine nuit, qu’avait pu apercevoir de son observatoire le commandant de Soissons, sinon quelques feux de bivouac?

Au moment où il revenait de la cathédrale, Moreau trouva chez lui un second parlementaire russe, porteur d’une lettre de Winzingerode[2]. Le ton comminatoire de cet ultimatum, où se succédaient les mots d’assaut immédiat, de massacre et de pillage, était fait pour enlever à Moreau le peu de résolution qui pouvait lui rester. Il réunit aussitôt chez lui les officiers composant le conseil de défense. C’étaient l’adjudant-commandant Bouchard, commandant la place, le chef de bataillon Saint-Hillier, commandant le génie, le colonel Strols, commandant l’artillerie, et le colonel Kozynski, commandant l’infanterie, qui bien que blessé, s’était rendu à la convocation. Le général Moreau exposa la situation telle qu’il la voyait et apprit aux membres du conseil les pourparlers engagés avec l’ennemi ; cela fait, il invita chacun des officiers à donner son avis. Le chef de bataillon de Saint-Hillier prit le premier la parole, comme le moins élevé en grade. Selon lui, on pouvait et l’on devait tenir encore. D’une part, l’ennemi n’avait pas fait brèche au corps de place, et deux jours peut-être se passeraient avant que le canon entamât gravement les remparts; si la garnison avait subi des pertes, il restait néanmoins un nombre d’hommes suffisant pour la défense et ils étaient animés du plus grand courage. D’autre part, on avait dans la soirée entendu le canon au loin, ce qui indiquait l’approche d’une armée de secours. Le plus strict devoir commandait donc de prolonger la défense au moins pendant vingt-quatre heures, ce qui, à son avis, était possible[3]. Saint-Hillier, paraît-il, cédant à quelque sentiment de timidité, dont il fut blâmé par le

  1. Rapport du conseil d’enquête. (Archives de la guerre.)
  2. Le baron de Winzingerode, général en chef de l’armée russe, à M. le général Moreau : « Avant de donner l’assaut et pour sauver Soissons des horreurs du pillage et du massacre, je propose à M. le commandant de Soissons de rendre la ville à l’armée combinée du nord de l’Allemagne. L’honneur militaire ne commande pas une résistance contre une force aussi disproportionnée et dont les suites immanquables resteront toujours à la responsabilité du commandant devant Soissons. 18 février et 3 mars 1814. — Le général en chef, baron de Winzingerode. » (Archives de la guerre.)
  3. Rapport du conseil d’enquête. (Archives de la guerre.)— Moreau, naturellement, ne parle point de cette motion dans son rapport.