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dispersait et les éloignait en les faisant passer sur la rive droite de l’Aisne[1].

Ce mouvement n’était pas de nature à modifier le plan de retraite conçu par Blücher. Le feld-maréchal maintint ses ordres, et, vers onze heures, il se rendit à Buzancy pour décider du point où devait être jeté le pont de bateaux. Le siège de Soissons au moment d’être levé, le corps de Bulow établi de l’autre côté de l’Aisne, les troupes de Winzingerode prêtes à se disperser sur la rive droite et sur la rive gauche de cette rivière, l’armée de Silésie battant en retraite, serrée de près par Marmont et menacée sur sa droite par Napoléon : telle était la situation dans la matinée du 3 mars. Blücher ne pouvait se dissimuler les périls qu’il courait lorsqu’à midi, il reçut à Buzancy, où il venait d’arriver, une lettre de Bulow lui annonçant que Soissons était pris et que la ligne de retraite était conséquemment assurée : « Je ne doute pas, terminait Bulow, faisant allusion à la sortie des Français avec armes et bagages, que Votre Excellence ne préfère la possession rapide de ce point actuellement si important à la capture incertaine de la garnison, et je me flatte que cet événement vous sera agréable. Il me semble d’autant plus important qu’on entend au loin une vive canonnade[2]... » L’événement, en effet, était important. La reddition de la petite ville de Soissons changeait la face des choses.


II.

Soissons, en 1814, comptait 8,300 habitans et s’étendait sur un périmètre de 4,500 mètres. L’Aisne, qui, à Soissons, coule du sud au nord, séparait la ville proprement dite du faubourg de l’Est (ou faubourg Saint-Vaast,) renfermé comme la ville elle-même dans l’enceinte continue. En dehors des fortifications s’élevaient d’autres faubourgs : le faubourg Saint-Médard, à l’est ; le faubourg de Reims ou faubourg Saint-Crépin, au sud-est; le faubourg de Crise, au

  1. Ce qui prouve combien ce mouvement de Winzingerode était singulier, c’est que le général russe se ravisa presque aussitôt. A sept heures du matin, il écrivait une seconde lettre à Blücher, lui annonçant qu’il avait 10,000 hommes avec lui, sans compter ses Cosaques, et qu’il attendait des ordres du grand quartier-général pour se concentrer à Oulchy ou pour exécuter tout autre mouvement (Damitz, Geschichte des Feldzugs, t. II, p. 469). Par conséquent, il avait ordonné de surseoir au passage de son infanterie Mais Blücher jugea sans doute que, tous les ordres étant donnés pour la retraite, il était trop tard pour songer à la bataille. Et d’ailleurs, peut-être Blücher ne reçut-il cette seconde missive qu’à Buzancy, après avoir appris la reddition de Soissons.
  2. Lettre citée par Varnhagen von Ense, Leben des Generals Grafen, Bulow, p. 359. Cf. Plotho, Muffling, Bogdanowitch, etc.