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échoué hier, je ne puis croire autre chose, sinon que Votre Excellence se dirigera sur Reims par Fismes. Dans ces circonstances, je crois bien agir en faisant traverser par la plus grande partie de mon infanterie l’Aisne à Vailly, où Bulow a jeté un pont. Pour moi, j’attendrai le point du jour devant Soissons avec une division d’infanterie et toute ma cavalerie, et s’il n’est rien survenu de nouveau d’ici là, je me mettrai en route au lever du jour pour Fismes, où je m’établirai dans une bonne position.


Ces nouvelles n’étaient pas, il s’en faut, celles qu’attendait Blücher. Ses ordres si précis du 24 février, relatifs à la marche sur Paris, par Fismes et Oulchy, n’avaient pas été exécutés. Winzingerode ayant appris, le 27 février, le mouvement offensif de Napoléon, avait jugé que, dans ces circonstances, il importait à Blücher d’avoir sa retraite par l’Aisne assurée[1]. Or, le meilleur passage de l’Aisne pour l’armée de Silésie, c’était le pont de Soissons. Il avait donc écrit à Bulow, l’engageant à se porter de Laon sur Soissons, tandis que lui-même s’y porterait de Reims ; la place, attaquée par la rive droite et par la rive gauche, serait enlevée en vingt-quatre heures[2]. Bulow avait acquiescé au plan de Winzingerode. Le 1er mars, ces deux corps s’étaient mis en marche; le 2, ils avaient investi Soissons; mais le 3, comme on l’a vu par la lettre de Winzingerode à Blücher, cette ville, qui semblait faire bonne résistance, ne s’était pas rendue, et, comme on l’a vu par la même lettre, le commandant de l’armée russe, désespérant d’enlever la place en temps opportun, se disposait à lever le siège[3].

Certes, il y avait là de quoi surprendre et irriter Blücher (sa colère fut vive, à entendre Muffling.) Non-seulement Winzingerode n’avait pas suivi ses instructions et avait ainsi empêché la concentration à Oulchy, qui était l’objectif indiqué; non-seulement il n’avait pas pris Soissons, ce qui eût justifié en une certaine mesure l’inexécution des ordres reçus, mais encore, sachant la situation périlleuse où se trouvait l’armée de Silésie, au lieu de réunir toutes ses troupes pour marcher rapidement à son secours, il les

  1. Journal des opérations du corps du général de Langeron. (Archives topographiques de Saint-Pétersbourg.) Cf. Bogdanowitch, t. 1, p. 302.
  2. Winzingerode à Bulow, 28 février 1814. (Archives topographiques du ministère de la guerre à Saint-Pétersbourg.)
  3. Lettre précitée : (3 mars, cinq heures du matin.) « J’attendrai le point du jour devant Soissons, et, s’il n’est rien survenu d’ici là, je me mettrai en route.. » On ne saurait exprimer plus nettement l’idée de lever le siège. Muffling dit de même que Blücher était d’avis de lever le siège si la place ne se rendait pas dans la journée. (Muffling, Aus meinem Leben, p. 124-125.)