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de se fixer au milieu d’un groupe qui n’était au fond que la famille élargie.

La vente des biens-fonds se faisait ici devant l’autorité civile et en présence de témoins. L’acte qui constatait la transmission d’un immeuble, le tapou, était frappé d’une taxe de 5 pour 100 de la valeur et il devait être revêtu de la griffe du sultan, rugra, qui ne s’obtenait qu’à Constantinople. Le titre d’achat, le tapou était un extrait d’un « terrier » qui, comme les registres de nos conservateurs des hypothèques, contenait un tableau assez exact de la répartition des biens-fonds et des propriétaires auxquels ils appartenaient. Malheureusement l’Autriche n’a pu obtenir ces terriers. Ils seront remplacés par le cadastre qu’on achève actuellement.

Des lois récentes aux États-Unis déclarent insaisissable la maison du cultivateur et la terre y attenante. Ce Home stead Law, cette loi protectrice du foyer existe, depuis les temps les plus reculés, en Bosnie et en Serbie. Les créanciers ne peuvent enlever aux débiteurs insolvables ni sa demeure, ni l’étendue déterre indispensable pour son entretien. Il y a plus : s’il ne se trouvait pas sur les biens saisis et mis en vente une habitation assez modeste pour la situation future de l’insolvable, la masse créancière devait lui en construire une. Le préfet de police de Serajewo, le baron Alpi, racontait à M. Scheimpflug qu’il était surpris du grand nombre d’individus vivant de la charité publique. Après examen, il constata que tous ces mendians étaient propriétaires d’une maison. Une loi récente avait confirmé l’ancien principe du Home stead, qu’on réclame aujourd’hui en Allemagne, et sur lequel M. Rudolf Meyer vient de publier un livre des plus intéressans : Heimstätten und andere Wirthscaftsgezetze. « Les Homesteads et autres lois agraires. »

L’Autriche se trouve maintenant en Bosnie aux prises avec ce grave problème qui ne laisse pas que de présenter quelques difficultés aux Français en Algérie et à Tunis, aux Anglais dans l’Inde, et aux Russes dans l’Asie centrale : au moyen de quelles réformes et de quelles transitions peut-on adapter la législation musulmane à la législation occidentale ? La question est à la fois plus urgente et plus difficile ici, car il s’agit de provinces qui formeront partie intégrante de l’empire austro-hongrois et non de possessions détachées, comme pour l’Angleterre et même pour la France. D’autre part, on a en Bosnie une facilité exceptionnelle pour pénétrer dans l’intimité de la pensée et de la conscience musulmanes. Ces sectateurs de l’islam, qui ont été plus complètement modelés par le Koran et qui lui sont plus fanatiquement dévoués que nuls autres, ne sont pas des Arabes, des Hindous, des Turcomans étrangers à l’Europe par le sang, par la langue, par l’éloignement ; ce sont des Slaves qui parlent l’idiome des Croates et des Slovènes, et ils habitent à proximité