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la jouissance héréditaire, moyennant une redevance annuelle et des services personnels. La législation turque nouvelle avait accédé aux détenteurs le droit de vendre et d’hypothéquer ce droit de jouissance, qui était transmissible héréditairement aux descendans, aux ascendans, à l’épouse et même aux frères et sœurs. Les biens ekvoufé, ou vakoufs, sont ceux qui appartiennent à des fondations, très semblables à celles qui existaient partout en Europe, sous l’ancien régime. Le revenu de ces biens n’est pas destiné seulement, comme on le croit, à l’entretien des mosquées. Le but des fondateurs a été de pourvoir à des services d’un intérêt général : écoles, bibliothèques, cimetières, bains, fontaines, trottoirs, plantations d’arbres, hôpitaux, secours aux pauvres, aux infirmes, aux vieillards. Chaque fondation a son conseil d’administration. Dans la capitale, une administration centrale, le ministère des vakoufs, surveille, au moyen de ses agens, la gestion des institutions particulières, prodigieusement nombreuses dans tout l’empire ottoman.

Tant que le sentiment religieux avait conservé son action, le revenu des vakoufs, qui avait un certain caractère sacré, allait à sa destination, mais depuis que la démoralisation et la désorganisation ont amené un pillage universel, les administrateurs locaux et leurs contrôleurs ou inspecteurs empochent le plus clair du produit des biens ekvoufé. C’est affligeant, dans un pays où ni l’état ni la commune ne font absolument rien pour l’intérêt public. Les vakoufs sont un élément de civilisation indispensable; tout ce qui est d’utilité générale leur est dû. La confiscation des vakoufs serait une faute économique et un crime de lèse-humanité. Ne vaut-il pas mieux satisfaire aux nécessités de la bienfaisance, de l’instruction et des améliorations matérielles au moyen du revenu d’un domaine qu’au moyen de l’impôt? Dans les pays nouvellement détachés de la Turquie, en Serbie, en Bulgarie, au lieu de vendre ces biens affectés à un but utile, il faudrait les soumettre à une administration régulière, gratuite et contrôlée par l’état, comme celles qui chez nous gèrent si admirablement les propriétés des hospices et des bureaux de bienfaisance. Certaines personnes constituent des domaines en vakoufs, à condition que le revenu en soit remis perpétuellement à leurs descendans : c’est une sorte de fidéicommis, comme au moyen âge en Occident. Des rentes sont aussi ekvoufé. On estime que le tiers du territoire est occupé par les vakoufs. Tout ce qu’on pourrait faire serait d’appliquer à l’instruction le revenu des mosquées tombées en ruines ou abandonnées, comme on en voit quelques-unes à Serajewo.

Les biens metruké sont ceux qui servent à un usage public ; les places dans les villages où se fait le battage du blé, où stationnent