Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 70.djvu/543

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

colonnes antiques, avec des chapiteaux et des bases en bronze. On y dépose les morts avant de les porter en terre. La mosquée est très grande. Sa coupole unique, vide, sans autels, sans bas-côtés, sans mobilier aucun, avec ces fidèles à genoux sur les nattes et les tapis, disant leurs prières en baisant de temps en temps la terre, est vraiment le temple du monothéisme, bien plus que l’église catholique, dont les tableaux et les statues rappellent les cultes polythéistes de l’Inde. D’où vient cependant que l’islamisme, qui n’est, au fond, que le mosaïsme, avec d’excellentes prescriptions hygiéniques et morales, ait partout produit la décadence, au point que les pays les plus riches pendant l’antiquité, se sont dépeuplés et semblent frappés d’une malédiction, depuis que le mahométisme y règne? J’ai lu bien des dissertations à ce sujet ; elles ne me semblent pas avoir complètement élucidé la question. On pourrait étudier ici mieux que partout ailleurs l’influence du Koran, parce que nulle action n’est attribuable, ni à la race, ni au climat. Les Bosniaques musulmans sont restés de purs Slaves ; ils ne savent ni le turc, ni l’arabe ; ils récitent les versets et les prières du rituel qu’ils ont appris par cœur, mais ils ne les comprennent pas plus que les paysans italiens disant l’Ave Maria en latin ; ils ont conservé leurs noms slaves avec la terminaison croate en itch et même leurs armoiries qui existent encore au couvent de Kreschova. Les Kapetanovitch, les Tchengitch, les Rajkovitch, les Sokslovitch, les Philippevitch, les Tvarkovitch, les Kulinovitch sont fiers du rôle qu’ont joué leurs ancêtres avant la venue des Osmanlis. Ils méprisaient les fonctionnaires de Constantinople, surtout depuis qu’ils portaient le costume européen. Ils les considéraient comme des renégats et des traîtres, pires que des giaours. Le plus pur sang slave coulait dans leurs veines et en même temps ils étaient plus fanatiquement musulmans que le sultan et même que le cheik-ul-islam. Ils ont toujours été en lutte sourde ou déclarée contre la capitale. Il ne peut pas s’agir ici non plus de l’action démoralisante de la polygamie : ils n’ont jamais eu qu’une femme, et la famille a conservé le caractère patriarcal de l’antique zadruga. Le père de famille, le stareschina, conserve une autorité absolue, et les jeunes sont pleins de respect pour les anciens. Cependant il est certain que, depuis le triomphe du croissant, la Bosnie a perdu la richesse et la population qu’elle possédait au moyen âge, et qu’elle était avant l’occupation le pays le plus pauvre, le plus barbare, le plus inhospitalier de l’Europe. Cela est dû manifestement à l’influence de l’islamisme. Mais comment et pourquoi? Voici les effets fâcheux que je discerne.

Le vrai musulman n’aime ni le progrès, ni les nouveautés, ni l’instruction. Le Koran lui suffit. Il est satisfait de son sort, résigné, donc peu avide d’améliorations, un peu comme un moine catholique;