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pas craint d’invoquer l’autorité, le libéralisme élevé, le patriotisme de M. le cardinal Lavigerie. Il a montré aux républicains le danger de laisser se renouveler ce spectacle récent du chef de l’église africaine venant en France solliciter la charité pour ses prêtres, prêchant sans amertume, sans autre passion que le zélé religieux et patriotique, et obtenant du public plus que le budget ne lui donnait. Et ici encore la chambre a voté ce qu’on lui demandait ! — Il y a mieux : on touche aux élections, c’est le moment où tous les programmes peuvent se produire et où l’on va sans doute mettre sur le drapeau républicain ce principe de la séparation de l’église et de l’état dont on parle toujours. Pas du tout, les tacticiens du parti laissent les radicaux faire tous les programmes qu’ils voudront, courir les aventures, et ils gardent quant à eux, une savante réserve : ils ne se prononcent pas ! C’est qu’ils sentent bien que ce concordat, qu’on affecte de dédaigner quand on ne le torture pas, qui a assuré une longue paix, répond à tous les instincts du pays, comme il est une garantie pour les intérêts les plus éminens de la France. Tous ceux qui ont une idée de l’action extérieure de la France savent quel appui, quelle force notre diplomatie trouve souvent dans les missions catholiques. M. le ministre des cultes disait, l’autre jour, la plus simple vérité, en montrant que si on refusait tout subside aux prêtres français en Afrique il y aurait des clergés étrangers, des prêtres italiens, espagnols que leurs gouvernemens subventionneraient pour le service religieux de leurs nationaux, et ce serait notre intérêt qui se trouverait sacrifié. Et si l’état est intéressé à avoir des missionnaires qui le secondent au loin, des prêtres qui servent la France en Afrique, quel autre moyen a-t-il que de maintenir des relations faciles avec l’église par le respect sincère du concordat ? Oui, au fond, on sent bien tout cela, mais la faiblesse incurable du parti républicain, aujourd’hui, est de ne pas oser avouer tout haut la résolution d’en finir avec des guerres qui divisent le pays, de revenir aux conditions d’une véritable paix religieuse par le maintien d’un régime qui répond à la fois et à un profond instinct public et aux plus sérieux intérêts de la France dans le monde.

Ce n’est pas sans difficulté que les affaires des peuples se font, que les parlemens arrivent au bout de leurs travaux, de l’année, et que les crises de gouvernement finissent comme tout finit aujourd’hui, provisoirement. Les crises ministérielles qui ont plus ou moins ému ou occupé certains pays de l’Europe, il y a quelques semaines, sont dénouées pour le moment, jusqu’à la prochaine occasion. Le ministère tory a pris la place du cabinet libéral en Angleterre. Les nouveaux ministres se sont fait réélire sans trop de peine, selon l’usage, et comme pour donner plus d’originalité ou de saveur à cette réélection, c’est la jeune et brillante femme de lord Randolph Churchill qui a