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ici monotone. Cela pourrait bien tenir à l’usage immodéré d’un procédé qu’il faut ménager davantage : l’emploi des motifs typiques, il y a dans Sigurd telle phrase trop souvent ramenée, notamment celle de Bruuehild endormie, ou certain motif de Sigurd, repris à propos de tout, et de rien. Assez pauvre en lui-même et un peu brutal, celui-là moins que tout autre méritait cet honneur. Il affecte un rythme à trois temps avec accompagnement de triolets martelés, que M. Reyer a prodigué, et qui alourdit son style. Et puis cette opiniâtre préoccupation des motifs, ce souci constant de les rappeler, ne fût-ce qu’un instant, de les opposer ou de les réunir, tourne à la persécution : cela sent le placage et le jeu de patience. Il est trop facile, sans chercher du nouveau, de faire une scène, par exemple le duo de Gunther et de Brunehild, avec des bribes de phrases déjà connues et presque usées, avec des restes. Au moins faudrait-il les accommoder avec plus d’art, s’entendre mieux au style fugué et aux développemens symphoniques. Aussi bien, les idées ne font pas défaut à M. Reyer : il n’a pas besoin de s’acharner après les mêmes.

Heureusement il n’insiste pas toujours ainsi. Le chœur des femmes à la fontaine, qui commence le quatrième acte, a la fraîcheur et la fluidité de l’eau courante. M. Reyer est décidément le musicien des sources : dans Sigurd, comme au premier acte de la Statue, il a compris la poésie des eaux. L’air de Brunehild, le duo de deux femmes et les dernières pages, la mort de Sigurd, manquent de mouvement dramatique ; tout cela est froid et sans émotion. Mais une scène au moins, dans ce dernier acte, ne manque pas de passion, ni surtout de poésie. Sigurd parait, inquiet comme la reine, repris lui aussi par un sentiment plus fort que tous les sortilèges : 0 Brunehild. ô ma pauvre âme ! s’écrie-t-il dans une sorte de détresse d’amour. C’est moins un air qu’un récit rythmé et mesuré, au-dessus duquel éclate deux fois un regret déchirant :


Ah ! quand pourrai-je, infortunée…
Voir sur ta lèvre éclore un sourire nouveau,
Et t’entendre chanter en tournant ton fuseau !

Cette période musicale est bien conduite, elle s’achève surtout avec une grâce charmante.


Le duo qui suit est d’un sentiment très particulier et d’une facture excellente. Quel dommage qu’une strette un peu vulgaire le termine ! il commence si bien, par les nobles récits de Brunehild, par un cantabile de si longue haleine et de lignes si harmonieuses ! Des présent de Gunther je ne suis plus parée ! Toute blanche et couronnée de