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Brunehild, une Walkyrie, fut autrefois chassée du ciel d’Odin pour avoir trop aimé les combats et s’être mêlée sur la terre aux batailles des hommes. Dans un palais enchanté, que protège une mer de feu, elle dort le long sommeil qui fait son châtiment, jusqu’au jour où viendra le mortel qui doit la réveiller. Elle sera l’épouse de son libérateur et partagera désormais les destinées humaines. — Telle est la légende qui se chante à la cour de Gunther, roi des Burgondes, et le roi résout aussitôt d’aller conquérir la Walkyrie. Mais on signale l’approche d’un guerrier inconnu. Il entre : il a juré, lui aussi, de ravir Brunehild, et somme Gunther de lui céder l’honneur de l’aventure. Gunther d’abord s’offense ; mais son rival se nomme : c’est un héros fameux, de race presque divine, Sigurd, qui jadis délivra la sœur de Gunther, Hilda, prisonnière en pays ennemi. Gunther lui tend la main : ils forceront ensemble la retraite de la Walkyrie. Mais Hilda chérit Sigurd : pour se faire aimer de lui comme elle l’aime, elle lui verse un philtre préparé par sa nourrice, la magicienne Uta.

Au second acte, Sigurd, Gunther et Hagen, un de leurs compagnons, arrivent dans une forêt où les prêtres d’Odin célèbrent leurs mystères. Ils apprennent d’eux les périls, et surtout la condition suprême de leur entreprise : pour conquérir la vierge guerrière, il faut un guerrier vierge. Sigurd seul est ce guerrier ; seul il peut marcher vers le palais de feu. Il y marchera donc, mais pour Gunther, car le breuvage a fait naître en son âme l’amour que souhaitait Hilda. Cependant, les dieux ordonnent que Brunehild aimera son sauveur. Pour détourner de lui cet amour que maintenant il dédaigne, Sigurd abuse la Walkyrie ; il abaisse la visière de son casque et, sans lui montrer ses traits, conduit Brunehild aux bras de Gunther ; Hilda sera le prix de sa valeur et de sa loyauté.

Cet échange de services ne laisse pas d’être singulier. Il y a quelque bizarrerie dans ce double marché d’amour. De plus, pourquoi Sigurd, qui n’aime plus que Hilda, tient-il toujours autant à la conquête de Brunehild ? On ne comprend guère cet héroïsme platonique et cet empressement de Sigurd à faire bénéficier un ami récent encore du privilège de sa rare vertu. Tout cela est un peu étrange, un peu mystique ou mythique.

Le reste n’est guère plus humain. Brunehild épouse Gunther auquel elle croit devoir la liberté ; Hilda épouse Sigurd, et tous les quatre paraissent heureux. Pourtant un doute mystérieux inquiète Brunehild. Un secret instinct lui dit que l’épée aux éclairs de laquelle elle s’est éveillée est l’épée de Sigurd, et que les destins ne sont pas obéis. Ils vont l’être : Hilda révèle la vérité à la reine. Pourquoi cet aveu ? Pourquoi Sigurd s’est-il trahi ? Indiscret comme Lohengrin, Sigurd est moins l’idole que lui. Voici qu’il n’aime plus Hilda et qu’il aime de