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scintille comme les étoiles de cette nuit d’été. Lentement le jeune homme s’agenouille ; il se couche aux pieds de la reine et la contemple sur son trône d’or. Il ne se défend plus ; les ivresses profanes ont ressaisi sa jeunesse encore mal assurée dans la nouvelle foi. La lune s’est levée sur le Vésuve ; partout montent des senteurs puissantes et l’on entend au loin l’haleine harmonieuse de la mer Tyrrhénienne. Peu à peu, sur un accompagnement tremblant se pose, très haut, très soutenue, l’idéale cantilène d’Hélios : Je veux aimer toujours ! et non pas : Je veux t’aimer, comme on dit parfois. La nuance n’est pas indifférente. Félicien David n’a pas voulu faire de cette suave mélodie un banal chant d’amour, mais l’hymne éperdu de l’amour même, de l’amour païen, sensuel, par lui transfiguré et presque divinisé.

M. Léo Delibes n’a pas des ambitions si hautes. Du moins il ne les avait pas voilà quelque douze ans. Il ne pensait encore ni au moyen âge de Jean de Nivelle, ni aux Indes plus ou moins galantes de Lakmé. Il visait moins haut, et, je crois, plus juste. Ce n’est point par les grands côtés qu’il a vu le grand siècle et le grand roi ; mais où est le mal ? On pourrai dire en modifiant un peu le mot de Lucain : Humanum parvis vivit genus : L’esprit humain ne vit pas uniquement de grandes choses, et il y a de petits chefs-d’œuvre, — témoin le Roi l’a dit.

On sait le mince sujet de cet opéra comique. Le marquis de Moncontour est présenté à Louis XIV : « Vous avez un fils, dit le roi, et je veux le voir. » Et voilà le pauvre marquis, père seulement de quatre filles, en quête de cet héritier par ordre, qu’il faut trouver sous peine de disgrâce. Il le trouve heureusement, ou plutôt on le lui trouve en la personne du naïf Benoît, l’amoureux de Javotte, la servante du marquis. Le benêt se déniaise vite, trop vite ; il prend des allures de gentilhomme, fait des dettes et maltraite les petites gens. Il tire du couvent ses quatre prétendues sœurs, il en promet deux à des jouvenceaux qu’elles aiment, et met dehors les fiancés officiels qu’elles n’aiment pas. Bien plus : il se bat en duel avec les soupirans éconduits, et fait le mort à la première passe. On le croit tué, et le marquis reçoit les condoléances du monarque. Il avait un fils, il n’en a plus ; cette fois encore, le roi l’a dit. Le fils « artificiel » redevient Benoit comme devant, et ne se fait pas prier pour épouser Javotte.

Sur ce livret léger et parfois plaisant, M. Delibes a fait une charmante partition. L’aimable musicien que M. Delibes ! Qu’il pense et qu’il écrit finement ! Comme il a retrouvé, sans copie ni pastiche, l’aisance et l’esprit de notre vieil opéra comique ! Sa musique est bien française, elle a toutes nos qualités : la clarté, l’élégance, et le goût surtout, cet instinct subtil des nuances et de la mesure, cette conscience délicate du beau. La musique de M. Delibes ne tombe dans