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soldats, six mois sous les drapeaux, et que, pour en garder toute l’année le même nombre, on en convoque la moitié seulement à chaque semestre, on aura pourvu à la fois aux besoins de la paix et à ceux de la guerre.

Maintenant, parmi les combattans, tous ne sont pas destinés au même rôle, et il y a deux sortes de troupes. Les unes, dès le commencement des hostilités, doivent chercher l’ennemi et le combattre. Les autres, formées en arrière, doivent marcher plus tard et remplir les vides que le feu aura faits dans les rangs des premiers. Les unes sont les troupes de campagne, les autres les troupes de remplacement. Le sort des guerres est presque attaché au résultat des premiers engagemens et de moins en moins semble-t-il qu’on puisse, au cours de la lutte, rétablir la fortune d’abord compromise. Donner à toutes ces troupes une valeur égale est un faux calcul. Elles présentent une qualité homogène et elles sont destinées à des épreuves inégales. Le soldat destiné à pénétrer sur le champ de bataille à la fin de la campagne, ou même à demeurer dans les dépôts sans prendre contact de l’ennemi, est formé comme le soldat qui supportera le grand choc : l’un aura trop de valeur pour son rôle, l’autre n’en saurait avoir assez. L’armée serait plus forte qui exercerait moins celui qui a moins de chances de se battre ou de se battre à des heures moins décisives, et consacrerait en revanche à former le soldat de première ligne le temps qu’elle économise sur la formation du soldat de remplacement. L’éducation est indispensable seulement à la portion de l’armée qui doit faire les grands efforts. Les troupes de remplacement, qui dans leurs jours d’attente trouvent le loisir de se former, qui arrivent en ligne quand les grands coups sont portés et quand il n’est plus besoin de la même vigueur, qui pénètrent par petites portions dans des troupes vite vieillies par la campagne et exaltées par le succès, seront entraînées sans le ralentir par le flot humain qu’elles grossissent. A elles encore il suffit de connaître le métier. Or, dans la guerre, les troupes de première ligne forment les deux tiers, les troupes de remplacement le tiers de l’effectif total. A mesure que les effectifs des armées s’accroissent, la proportion des troupes qui ne combattent pas augmente. Le temps manque pour assembler, l’espace même pour mettre en bataille ces multitudes. En 1870, les Allemands avaient levé 1,400,000 hommes : ils n’en avaient pas en France plus de 400,000 quand ils ont remporté leurs premières et décisives victoires. Même à la fin d’une campagne qui avait étendu les opérations du Rhin à la Loire et à l’océan, quand ils comptaient sur le sol français plus de 1,000,000 de soldats, ils n’en avaient pas plus de 600,000 sur les champs de bataille. L’imagination de ceux enfin qui, en France et en Allemagne, ont voulu prévoir des luttes