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l’obéissance. Cette obéissance héroïque naît chez le soldat quand, ayant éprouvé le courage, la science et le cœur de ses chefs, il ne doute plus : elle s’élève alors à la hauteur d’une foi. Cette foi se développe plus ou moins vite, suivant l’état d’âme où se trouve l’homme qui entre dans l’armée et cet état dépend lui-même de l’éducation que, depuis l’enfance, la société où il vit lui a donnée.

S’il appartient à une nation où l’autorité est stable, où la hiérarchie militaire se confond avec la hiérarchie sociale, où d’éclatans succès ont fait de l’armée l’orgueil de tous, il y entre préparé d’avance aux sentimens qu’il y doit acquérir : de fierté pour son rôle, de respect pour ses chefs, de confiance dans la force dont il devient un élément. Nulle part ces conditions ne sont mieux réalisées qu’en Allemagne. Dans le pays de la nation armée, chacun dans l’armée garde le rang qu’il avait dans la nation. Le conscrit, arrivant de son village ou de la ville, reconnaît dans ses officiers les seigneurs de la terre qu’il cultive, les fils des industriels qui lui donnent du travail, les représentans de classes qui exercent à ses yeux les droits de la tradition, de la richesse, de l’intelligence. Son orgueil ne songe pas à se révolter contre des inégalités qui lui assurent partout un patronage. Il est déjà dressé à obéir, et trois ans suffisent à perfectionner ce soldat, que, depuis vingt ans, la société prépare. le sentiment militaire est si répandu que, chaque année, sans attendre l’âge du service, une foule de volontaires rejoignent les corps : ils fournissent aux écoles de sous-officiers trois fois plus de candidats qu’elles n’en peuvent recevoir. Ce sentiment militaire est si durable que les soldats rengagés après trois ans de service sont seuls admis au rang de sous-officiers. Et c’est dans une nation si guerrière et encore féodale que ses généraux découvrent une décadence de l’esprit militaire : à la vue des changemens apportés sans cesse par l’instruction, le luxe, la haine naissante des classes à l’ancienne structure sociale, ils prévoient qu’un plus long délai deviendra bientôt nécessaire pour avoir d’aussi bons soldats.

Mais si un pays est égalitaire, si l’effort des lois, secondant la passion générale, s’oppose à l’établissement de toute hiérarchie, si les autorités, temporaires et formées par la volonté du peuple, sont vouées à la discussion et, par suite, au mépris de ceux qui les ont faites et les peuvent défaire, si la multitude, seule maîtresse de l’état, a pour flatteurs ceux qui devraient la conduire, ce pays est mal disposé au service militaire. La valeur naturelle peut survivre, la discipline est morte ; et l’intelligence naturelle rend l’instruction facile, mais l’obéissance malaisée. Plus un peuple est aristocratique, plus l’éducation des armes y est rapide ; plus il est démocratique, plus l’éducation est lente. Si cela est vrai, nulle part le soldat n’est