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et dans l’horreur du champ de bataille ne songer qu’à l’exécution méthodique des ordres, il faut que l’homme ait dompté le sentiment le plus fort de la nature. Son intelligence même ne peut être sans trouble si son cœur est troublé, et il n’a vaincu l’ignorance que le jour où il a vaincu la peur.

L’ignorance cède aux études, c’est-à-dire au temps. Combien de temps faut-il pour instruire des soldats ?

Fixer un délai identique pour tous, c’est admettre que tous sont dressés au même métier ou à des métiers de difficulté égale. Or l’armée se compose de troupes diverses par l’armement, la tactique, et qui ne sont pas destinées au même rôle dans la guerre. Ces différentes troupes, pour se préparer efficacement à la lutte, doivent être libérées d’autres soins. Fabriquer les armes, préparer les approvisionnemens, les garder en bon état et en quantité convenable, transporter le matériel et les hommes, soigner les blessés, tenir compte de toutes les dépenses, sont autant de fonctions indispensables et que les combattans ne peuvent remplir. Elles sont confiées à d’autres, et ceux-ci, à leur tour, ne s’exercent pas à disputer la victoire sur les champs de bataille. L’armée est donc l’assemblage des fonctions les plus diverses et leur multiplicité se rattache à deux groupes : celui des combattans et celui des auxiliaires.

Si l’armée devait être l’école de toutes, le temps de présence sous les drapeaux varierait pour chaque conscrit d’après le corps auquel il serait affecté, et cette variété deviendrait extrême dans les corps auxiliaires qui sont voués aux professions les plus nombreuses. Un fait simplifie tout. Les corps auxiliaires rendent à l’armée des services identiques à ceux que la société civile demande à certaines professions. Les mécaniciens, fondeurs, ajusteurs, forgerons, selliers, cordonniers, tailleurs, boulangers n’accomplissent pas un autre travail que, dans l’armée, les ouvriers d’état ; les cochers et voituriers font le même service que le train des équipages ; les employés de commerce savent tenir en ordre les magasins et les écritures aussi bien que les soldats d’administration et les secrétaires d’état-major ; nul n’est plus apte à assurer la rapidité des communications et des trains militaires que les employés des chemins de fer et de télégraphes, à composer les greffes de justice militaire que les étudians en droit, à former le personnel des infirmiers que les élèves en médecine. Leur vocation naturelle a donné aux uns et aux autres, avant vingt ans, la connaissance de leur métier. L’armée qui les appelle alors, et peut parmi eux choisir les meilleurs, n’a pas à les former, mais seulement à s’en servir. Il suffit qu’elle les initie aux habitudes particulières qu’elle apporte dans l’exécution de travaux familiers pour eux. Sous la surveillance de bons cadres, ils seront en quelques mois plies aux exigences de