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L'ARMEE ET LA DEMOCRATIE

II.[1]
LE SERVICE DE CINQ ANS. — LE REMPLACEMENT.

Le séjour dans l’armée doit être égal pour tous les citoyens, parce que tous paient la même dette ; il peut être court parce qu’ils ont seulement à acquérir l’instruction militaire : telles sont les deux idées qui, dans l’œuvre aujourd’hui entreprise, triomphent et triomphent l’une par l’autre. Des législateurs résolus à imposer à tous un service de même durée avaient besoin de croire que le soldat se forme vite. Ils ont justifié par une théorie militaire une conception politique.

A quiconque se propose pour but unique l’intérêt de l’armée, l’erreur fondamentale des novateurs apparaît : pour faire un soldat, l’instruction est nécessaire, mais l’instruction ne suffit pas. Dans les autres carrières, il est vrai, dès que l’instruction est achevée, l’homme est apte à remplir les fonctions apprises. Et ceux qui appliquent cette règle au métier militaire auraient raison si le soldat exerçait son art, comme il s’y prépare, dans la sécurité des champs de manœuvre et de tir. Ces logiciens oublient une seule chose, c’est que son métier met le soldat en face de la mort. L’effroi qu’elle inspire a pour effet ordinaire d’anéantir en l’homme toutes les facultés, sauf l’instinct de vivre, et celui qui sait le plus ne sait plus rien, sinon la fuir. Pour demeurer quand elle s’avance, l’oublier quand elle frappe,

  1. Voyez la Revue du 15 juin.