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Gaule, et Clovis, à peine roi, en prit un large morceau après sa victoire sur Syagrius ; mais ces deux peuples étaient ennemis l’un de l’autre, et ils s’étaient sans doute rencontrés dans bien des combats avant que Clovis attaquât et battît les Alamans en 493. Cette bataille, que nous connaissons sous le nom de bataille de Tolbiac, bien qu’elle n’ait pas été livrée en cet endroit, aurait pu n’être qu’un épisode insignifiant d’une lutte entre peuples barbares, mais elle a été un grand fait de l’histoire universelle. Clovis, en effet, après sa victoire, s’est substitué au roi vaincu, et il est devenu le chef de ce peuple, dont le pays se prolongeait jusqu’au Lech et contenait les sources du Rhin et celles du Danube. Une partie du territoire des Alamans, entre le Neckar et le Mein, semble même avoir été occupée dès lors par les Francs, dont elle a gardé le nom (Franconie). Or c’est là le premier mouvement d’ouest en est qui se soit produit depuis le jour où l’empire romain a cessé d’avancer. C’est la première fois qu’un peuple germanique prend à rebours le chemin de l’invasion. C’est le premier acte de la conquête de la Germanie par des Germains.

Cette victoire, le baptême de Clovis, qui la suivit de près, et enfin les assassinats par lesquels ce singulier chrétien se débarrassa des petits rois des Francs et réunit le peuple entier sous son commandement : voilà les faits importans d’un règne qui a commencé une ère nouvelle en Occident. Aussi faut-il apprendre à connaître la physionomie de ce barbare, un peu défigurée par l’antique et vénérable tradition qui le représente comme le fondateur de la « monarchie française. »

Nous avons tous appris la belle légende du héros aux longs cheveux flottant sur les épaules ; roi d’un peuple, dont le nom est synonyme de libre, il sort tout à coup de l’ombre, armé de sa francisque. « Ses pareils à deux fois ne se font pas connaître : » à la première rencontre, Syagrius, le roi des Romains, s’enfuit devant le jeune barbare. Tout aussitôt, Dieu commence à exécuter son grand dessein : il donne pour épouse une princesse chrétienne au païen dont il veut faire le champion de son église ; mais Clovis résiste aux douces et doctes leçons de Clotilde. Le Seigneur le conduit alors sur le champ de bataille, et, dans le danger où il l’a précipité, il fait luire à ses yeux comme un éclair, l’espérance de la victoire, qui sera le prix de sa conversion. Vainqueur, le fier Sicambre courbe la tête devant le saint évêque de Reims, pendant qu’un ange, descendu de la voûte du temple empli de parfums et brillant de l’éclat des cierges, apporte la sainte ampoule de la part de Dieu. La nouvelle du baptême se répand dans toute la chrétienté ; te pape décerne au roi des Francs le titre de son fils aîné de l’église. Désormais, les victoires succèdent aux victoires ; l’arien Gondebaud,