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tombés, n’ayant plus d’emploi : dignités, offices, trésor privé du prince, privilèges de la maison auguste, charges, honneurs, impôts, tout ce qui pesait sur l’empire et l’écrasait a été grandement allégé ou a disparu. Les deux lois, celle des Wisigoths et celle des Romains, ont ainsi coexisté jusqu’à la fin du VIIe siècle pour se fondre en une loi, non plus personnelle, mais territoriale, c’est-à-dire commune aux Goths et aux Romains. Il est certain qu’on ne pouvait mieux faire, et, comme enfin les rois et les peuples barbares n’ont manifesté aucune hostilité de race, aucun orgueil de parvenu, aucune dureté de conquérant, on peut dire qu’ils méritaient de réussir.

Sans doute, ils avaient contre eux un parti de l’opposition et du dédain, inspiré par toutes sortes de sentimens, les uns puérils et les autres respectables. C’est, par exemple, un sentiment respectable que le patriotisme romain d’un Sidoine Apollinaire. Sidoine est né, comme il le dit lui-même, d’une famille prétorienne ; il est fils et petit-fils de préfets du prétoire, gendre d’Avitus, ce grand seigneur arverne qui fut proclamé empereur en 453. En l’honneur de son beau-père, il a écrit un poème où il exprime avec une véritable éloquence la fidélité de la Gaule à l’empire. Dans la scène de l’élection, qui fut faite par une assemblée des grands de la Gaule, il fait ainsi parler un Gaulois : « Pour demeurer fidèles à la tradition de nos ancêtres, nous avons gardé le culte de lois qui avaient perdu toute leur force ; saintement nous sommes demeurés attachés aux choses anciennes, quelque souffrance que cela nous coûtât, et nous avons porté l’ombre de l’empire :


Portavimus umbram
Imperii…


Comme l’orateur craint qu’Avitus ne refuse l’honneur qui lui est offert, en un moment où tout semble désespéré, il lui rappelle qu’un jour, dans un grand désastre, un seul homme a suffi pour sauver la patrie. « Lorsque les enseignes de Brennus entouraient la roche Tarpéienne, rappelle-toi que toute notre république était en Camille :


Respublica nostra
Tota Camillus erat… »


Ainsi un Gaulois, mettant en scène le Brenn et Camille, renie le premier et salue dans le second le sauveur de la patrie. Aucun fait, aucun texte ne montre mieux que la Gaule n’était qu’un pays dans la patrie romaine, et qu’on y sentait l’injure d’être gouverné par des barbares.