maire, conseiller général, président du comice, secrétaire perpétuel de la Société d’agriculture et plus qu’à demi sénateur. Tandis que tant de dignités s’accumulaient sur sa tête, il a gardé, comme Auguste, sa chaumière du Palatin et dissimulé la dictature sous la simplicité du citoyen. Il parait au milieu de son peuple. Sa haute taille est un peu voûtée : on dirait qu’il exagère le poids des ans pour se faire pardonner sa puissance. Son allure est pesante, mais ses petits yeux mobiles, enchâssés sous un front bombé, dénoncent une pensée toujours en mouvement. Il s’avance, suivi de la foule des courtisans. Le cortège grossit. Des chuchotemens signalent l’arrivée de deux hobereaux qui saluent d’un air pincé, mais qui sont à leur tour entraînés par le courant. Quant à lui, satisfait d’avoir enchaîné les vaincus à son char, il triomphe avec modestie, et montre que le roi de France oublie les griefs du duc d’Orléans. Il s’est rallié de bonne heure aux institutions libérales, par le calcul d’un génie supérieur : la branche aînée de sa famille, dont la fortune est plus ancienne, perd son temps à briguer le suffrage des salons. Le chef de la branche cadette a voulu rester paysan et il s’est orienté vers les régions officielles, comme l’aiguille aimantée vers le pôle.
Les autorités se montrent enfin sur le haut de la côte ; dans un nuage de poussière brillent les sabres de l’escorte. Les autorités mettent pied à terre et abordent avec empressement le patriarche du canton, qui a pour elles des inflexions de voix câlines. Il s’efface. Il n’est qu’un pauvre et rustique vieillard, et ne fait pas de cérémonies. Les autorités deviennent graves en se demandant de quel bureau de tabac, de quelles révocations le pauvre vieillard va leur faire payer son hospitalité. Le bruit de la fanfare couvre cet échange de complimens, et la foule s’achemine vers le bourg, à distance respectueuse, derrière l’état-major. Tout ce qui a du poids dans le canton prend place autour d’un déjeuner de gala. La maîtresse du logis fait les honneurs avec plus de résignation que d’enthousiasme. C’est une bonne petite vieille que tout ce bruit intimide. Elle jette un œil de regret sur le coin de fenêtre où elle coud d’ordinaire. Le bonnet éclatant qu’elle arbore semble ne pas tenir à sa tête. Ce sont deux pièces rapportées, qui jurent ensemble. Le bonnet chante un air de bravoure. La petite figure fatiguée et ridée ressemble à une vieille chanson mélancolique.
On commence à dévorer en silence. Aux deux bouts de la table, les ruraux, muets comme des poissons et presque aussi voraces, le nez dans leur assiette, promènent de temps en temps un regard sournois sur les autres convives. Les autorités montrent seules de l’aisance au milieu de l’embarras général, et, sans perdre un coup de dent, partagent habilement leurs attentions entre le maître du