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partisans, ou redouter, à la suite de quelque galante escapade, la sévérité d’un roi ? Ils tremblent aujourd’hui devant quelques démagogues. On prétend qu’à la veille de la grande révolution, une cour frivole et insouciante dansait sur un volcan. Certes, ce ne sont point nos gens qu’une nouvelle tourmente surprendrait en flagrant délit d’optimisme ! Pour dénigrer leur pays, ils rendraient des points à l’étranger le plus hostile. Ce sont là des bravades puériles. En aucun temps, on n’a montré plus d’indulgence pour certaines fanfaronnades, qui consistent à mépriser ouvertement les institutions dont on réclame la protection. Puisque les murs de ces châteaux ont vu les querelles religieuses et celles des parlemens, ils pourraient enseigner à leurs possesseurs ce qu’il en coûtait autrefois de penser autrement que le pouvoir. Ces comparaisons ne seraient pas toutes à l’avantage du passé, mais les dissidens montraient alors plus de courage et de politique qu’il n’en faut aujourd’hui pour tenir tête à trois ou quatre pédans de village.

Doit-on attacher plus d’importance à cette recherche d’archaïsme que les châteaux apportent dans leurs opinions, comme ils en mettent dans leur mobilier ? Telle est l’influence de la pierre sur l’homme, que le bourgeois le plus saugrenu, une fois installé dans la carcasse d’un vieux manoir, se croit obligé d’entrer dans la peau des anciens propriétaires. Il perd le peu de cervelle qui lui restait au contact de toutes ces vieilleries. La possession d’un salon Louis XV lui inspire des goûts de talon rouge. Il parle du bout des lèvres et prend un air mauvais sujet. Ailleurs, la mode est aux armures et aux grands coups d’épée. On dirait qu’après fortune faite, chacun n’a plus qu’à choisir, dans la succession des temps, celui qui convient le mieux à son imagination ou à son tempérament. Voulez-vous du moyen âge, de la renaissance, ou du directoire ? La baguette d’une fée va vous transporter cent ou deux cents ans en arrière, vous, votre château et votre parc. Si encore cette fantaisie s’en tenait à la bagatelle ! Mais il faudrait, pour satisfaire le caprice de nos parvenus, ou les exigences tout aussi déraisonnables de la vieille noblesse, que la France entière modelât ses institutions et ses idées sur cet idéal à reculons. « Eh ! ventre-saint-gris, dirait le bon roi Henri à ses courtisans rétrospectifs, j’étais de mon temps, messieurs, soyez du vôtre ! »


IV

Les déceptions commencent pour les grands propriétaires quand ils veulent entrer dans la vie politique. Un grand seigneur parait une fois dans sa terre au moment des vendanges, et, le reste du temps,