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la hauteur de ces prodigalités. Un simple papier gaufré remplace alors les tentures en cuir de Cordoue. Des moulures de plâtre grossièrement peintes comblent les lacunes des boiseries sculptées. On ne retrouve dans ces imitations ni le caprice de la main, ni le prix de la matière, qui sont les véritables signes de l’opulence mariée au goût. Se procurer rapidement et à bon marché des jouissances aristocratiques, voilà où le bourgeois barbouillé de noblesse montre le bout de l’oreille.

Il n’est pas beaucoup plus à l’aise dans les solides demeures, encore intactes, que lui a léguées le XVIIesiècle. La sévère ordonnance de ces grands châteaux de brique et pierre convient mal au laisser-aller des mœurs modernes. C’était bon pour l’ancienne noblesse de robe qui lisait Descartes, Gassendi et Pascal en guise de distraction, et qui, jusque dans son faste, conservait la rigidité imposante d’un tableau de Philippe de Champaigne. Nous avons beau nous hausser sur la pointe des pieds, nous nous sentons petits garçons en présence de ces murs vénérables ; et si la mode ne s’en mêlait, les nouveaux habitans avoueraient qu’ils s’y ennuient à périr. Peu à peu, ils désertent les grands salons trop froids, où ils avaient accumulé toutes les reliques du passé ; ils préfèrent le joli au grand, le style Pompadour aux meubles de Boule. Tout en conservant, pour la montre, une sorte de musée, ils s’accoutument à vivre dans une seule aile du château, où toutes ces splendeurs gênantes sont remplacées peu à peu par de bons divans bien capitonnés. A la raideur des anciens fauteuils ils substituent ces chauffeuses complaisantes où l’on se tient moins assis que couché ; aux boiseries correctes, un fouillis d’étoffes et de bibelots contemporains. Ce sont les coulisses de la comédie politique que notre haute société joue pour la galerie. Elle chausse volontiers le cothurne, et se guinde, en paroles, sur des opinions digues de Port-Royal. Il faut la voir en déshabillé, lorsqu’elle pose son masque et qu’elle se détend dans le bien-être. Si alors ces messieurs et ces dames, tout en buvant leur café, répètent que nous marchons aux abîmes et se lamentent sur le temps présent, nous pourrons leur représenter doucement que leur sort vaut bien celui de leurs aïeux. Jamais, quoi qu’ils en disent, la vie privée n’a été plus moelleuse ni plus confortable. Elle s’écoule sans émotion, sans secousse, exempte des lourdes obligations qu’imposent le rang et la grandeur. Que diraient nos châtelains s’ils devaient, comme autrefois, donner audience à leurs vassaux, paraître aux assemblées de la noblesse, observer les préséances ? Ou bien, puisque leur archéologie se complaît dans les temps héroïques, s’il fallait vivre l’épée à la main, prendre parti entre les huguenots et les catholiques, défendre leurs murailles contre des bandes de