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traitant la divinité cavalièrement, ils ont sacrifié an progrès. Au contraire, nos pauvres paroisses des landes, dont les ressources sont des plus minces, poussent vers le ciel, comme une prière, la flèche de leur petite église. Il n’est pas rare de rencontrer, dans nos cantons les moins riches, des édifices religieux tout neufs, qui étalent la splendeur de leur style néo-gothique au milieu des chaumes et des tas de fumier. Un étranger, nourri de notre littérature politique, et persuadé que les sentimens religieux se meurent en France, serait bien étonné s’il parcourait nos provinces à la manière d’Arthur Young. Il verrait chaque village paisiblement groupé autour de son église. Il entendrait les cloches sonner, comme autrefois, les baptêmes et les funérailles. Il assisterait peut-être à la consécration de quelque nouvelle basilique où l’on aurait prodigué la pierre la plus fine et les vitraux les plus coûteux. Ne serait-il pas disposé à conclure que toutes nos grandes batailles sont des querelles de ménage ? On se dispute ; mais on ne pourrait se passer l’un de l’autre.

L’action politique du clergé ne se fait guère sentir que dans la partie la plus pauvre du département, c’est-à-dire environ sur un sixième de la population. Si l’on songe à l’isolement relatif dans lequel vivent nos cultivateurs, à la stabilité des institutions ecclésiastiques au milieu de nos bouleversemens, on s’étonnera moins de l’ascendant que l’église a conservé dans ces campagnes reculées, lorsque la chute successive de tant d’autres dominations laissait comme une place vide à remplir dans l’imagination des hommes. Il est facile de parler d’indépendance à des gens qui ont à peine de quoi manger ; il est moins facile de leur procurer l’aisance et l’éducation, qui les dispensent de recourir à l’assistance d’autrui. Lorsqu’une poignée de cultivateurs besogneux vit à l’écart dans quelque bourgade reculée, à qui s’adresseront-ils, si ce n’est à leur curé, pour avoir un bon conseil ou pour accommoder leurs différends ? Tel orateur de club qui déclame contre l’influence des prêtres, consentirait-il à s’enterrer pour plusieurs années dans un pareil trou, sans relations sociales, sans distraction intellectuelle ? Telle est, cependant, la vie d’une bonne partie du clergé campagnard. On l’engage beaucoup à se confiner dans l’exercice de son ministère. Cette réserve ne lui est pas toujours permise. Dans une foule de cas, elle ne serait ni chrétienne, ni humaine. Faudra-t-il que le curé ferme sa porte à de pauvres diables qui savent à peine lire et qui viennent le consulter sur un procès ? Refusera-t-il de soutenir les autorités municipales, qui défendent leurs communaux contre un village voisin, et qui pâlissent au seul aspect du papier timbré ? Interdisez-lui alors d’être homme et d’avoir un cœur. Pour quiconque connaît son pays, ces grands principes uniformes qu’on veut