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de Panama et ils le feront si l’Europe ne les arrête. L’intérêt en jeu est considérable. Le jour où le canal de Panama sera ouvert, le canal de Suez cessera d’offrir aucun avantage aux navires qui devront dépasser Singapoure ou les îles de la Sonde : le nouveau canal sera la voie que prendra le commerce de l’Europe avec le Japon et la Chine, comme avec le Pérou et le Chili, comme avec l’Australasie et les 30 millions d’habitans qu’elle comptera quelque jour. C’est donc la liberté de la navigation, c’est le commerce de l’Europe avec une moitié du globe qu’il faudra défendre contre les usurpations des États-Unis. Avant qu’un quart de siècle se soit écoulé, on verra peut-être se livrer dans le golfe du Mexique, entre les flottes réunies de l’Europe et la flotte américaine, la bataille navale la plus considérable par ses conséquences et la plus décisive pour les destinées du monde que l’histoire aura eu à enregistrer depuis Actium.


III

L’Angleterre a fait acte de sage prévoyance en unissant par un pacte fédératif ses colonies de l’Amérique du nord et en leur accordant une indépendance à peu près complète. Le lien qui les rattache à la métropole est presque nominal ; elles s’administrent elles-mêmes et, en fait de libertés politiques ou civiles, elles n’ont absolument rien à envier à leurs voisins de l’Union américaine. Quelques écrivains ont prétendu qu’il y avait une émigration constante du Canada aux États-Unis, et ils ont cité des chiffres à l’appui de leur assertion ; mais ils ont fait une confusion qu’un examen plus attentif des faits eût dissipée. Pour les émigrans d’Europe qui veulent se rendre directement dans les états de l’Ouest, la voie du Saint-Laurent est la plus courte et de beaucoup la moins dispendieuse, à cause des bas prix dont se contentent les compagnies canadiennes de navigation. Trente ou quarante mille émigrans des moins fortunés empruntent donc cette voie et ne font que traverser le territoire canadien. Il s’agit ainsi d’un mouvement de transit et non d’un mouvement d’émigration locale, et la preuve en est que ce mouvement s’arrête aussitôt que la voie du Saint-Laurent est fermée par les glaces. Les Français et les catholiques, qui sont l’élément le plus considérable de la population canadienne et celui qui se multiplie le plus rapidement, n’ont aucun motif d’émigrer aux États-Unis ni de souhaiter une annexion à la grande confédération. Leur pays compterait pour bien peu de chose dans l’immensité du territoire fédéral, et eux-mêmes perdraient l’égalité politique dont ils jouissent. Toutes les fonctions leur sont accessibles ; ils siègent dans les chambres, une large place