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s’élèvera très probablement à 100 millions d’habitans qui peupleront les plaines du Far-West ; il y a donc nécessité d’assurer à ces états toujours grandissans les facilités de communications auxquelles ils ont droit. Le président disait en terminant que les deux gouvernemens, reconnaissant les avantages qui résulteraient pour le commerce du monde de l’œuvre projetée et, voulant travailler d’un commun accord à raccourcir les distances qui séparent les nations du globe, sont résolus à rendre le canal accessible à toutes les marines sans distinction d’origine.

Il est à peine besoin de faire observer que cette déclaration platonique n’enlève à aucun des articles de la convention leur caractère de dérogation aux engagemens du traité Clayton-Bulwer. Si le président Arthur et ses ministres avaient compté sur cette convention pour ramener à leur parti la faveur populaire, ils ont dû être fort désappointés. Le public américain n’a témoigné aucun enthousiasme pour le traité ; le sénat en a ajourné l’examen à diverses reprises, si bien que la session est arrivée à son terme (le 4 mars), sans qu’il eût été mis à l’ordre du jour ; et, à supposer que M. Cleveland accepte ce legs de son prédécesseur, il n’en pourra être question qu’à la session prochaine, c’est-à-dire au mois de décembre. Personne ne s’est fait illusion sur l’objet réel de la combinaison qui a donné naissance au traité et il est peu probable que les républicains, tombés du pouvoir, consentent à laisser à leurs adversaires victorieux le bénéfice de l’énorme engin électoral qu’ils avaient préparé pour eux-mêmes. Quant à la masse de la nation américaine, elle ne détesterait pas de jouer un mauvais tour à l’Angleterre, mais cette satisfaction peut lui paraître trop coûteuse au prix de 900 millions. Il est donc fort possible que le traité avec le Nicaragua devienne caduc comme le traité précédent avec la Colombie. Cependant l’Europe aurait tort de ne pas suivre avec attention ce qui se passe dans le golfe du Mexique ; à mesure que les travaux du canal de Panama avancent, la convoitise des États-Unis devient plus ardente ; elle sera irrésistible le jour où cette grande œuvre sera achevée. Déjà ils ont tenté à plusieurs reprises d’imposer leur protectorat à la Colombie qui a eu peine à s’en défendre ; ils ont voulu mettre garnison à Aspinwall sous prétexte d’assurer la libre circulation sur le chemin de fer ; ils entretiennent une station navale sur chacune des côtes de l’isthme ; ils ne perdent aucune occasion de s’immiscer dans les affaires intérieures de la Colombie ; ils viennent encore tout récemment de débarquer quelques centaines de fusiliers à Panama en alléguant la nécessité d’y rétablir l’ordre et de comprimer un mouvement insurrectionnel. L’Angleterre cherche manifestement à s’approprier le canal de Suez ; les États-Unis veulent mettre la main sur le canal