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a calmés par les déclarations les plus rassurantes : sa tâche principale a été jusqu’ici d’étudier la généalogie d’une douzaine de chefs bechuanas, qui prétendent tous à la propriété du sol et à la souveraineté sur les tribus environnantes, et de faire la part de chacun d’eux sans contenter personne. Dès que les forces anglaises se seront retirées, la guerre éclatera de plus belle entre toutes les tribus.

En effet, le christianisme a fait très peu de progrès parmi les noirs, malgré les sommes énormes que les sociétés bibliques ont dépensées ; la férocité des mœurs ne s’est pas adoucie ; et le peu que les indigènes ont appris de la civilisation a été surtout l’art de se détruire les mis les autres. Tout le monde est d’accord pour reconnaître que toutes les tribus indigènes sont destinées à disparaître comme ont déjà disparu les Hottentots de la province du Cap : le sol demeurera donc aux blancs ; mais au profit de quelle nationalité s’opérera cette évolution ? La tentative de confédération, essayée par lord Carnarvon sous le dernier ministère de lord Beaconsfield, a échoué parce que le Transvaal et l’Orange tenaient à conserver dans cette confédération l’indépendance dont ils jouissaient vis-à-vis de l’Angleterre, et que Le Cap renfermait encore un parti puissant hostile à la séparation ; mais l’importance relative de ce parti s’affaiblit chaque jour, tandis que l’influence des Africanders augmente, et Le Cap sera conduit à briser les derniers liens qui l’attachent à l’Angleterre. Il a déjà élevé la prétention de conserver la neutralité dans les guerres que l’Angleterre aurait à soutenir et de fermer ses ports aux bâtimens de guerre anglais comme à ceux des autres belligérans. La puissance irrésistible des intérêts l’amènera à se confédérer et à faire cause commune avec ce que lord Grey appelle « une légion de petites républiques hostiles à l’extension de l’influence anglaise. » Il est manifeste qu’en réglant les affaires des Bechuanas, sir Ch. Warren s’efforce de créer un obstacle à l’extension du Transvaal dans la direction de l’ouest ; mais c’est à peine s’il pourra enrayer ce mouvement pendant quelques années : et rien de ce genre n’est possible dans la direction de l’est, puisque l’Angleterre a admis le Transvaal à partager avec elle le protectorat du pays des Zoulous. La seule force d’expansion des Boers est irrésistible parce qu’une famille, avec ses serviteurs et ses troupeaux, suffit à occuper un espace très étendu. Les familles de quinze et vingt enfans ne sont pas rares, et chacun des fils, quand il atteint l’âge d’être marié, devient à son tour le chef d’un nouvel établissement. Le trafiquant anglais, qui va de ferme en ferme avec sa pacotille chargée sur une petite voiture, traverse le pays sans y laisser de traces : la ferme d’un Boer est presque toujours le point de départ d’un village et quelquefois