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cap Frio, limite de la colonie portugaise du Benguela, on ne trouve qu’un unique port, ou plutôt une rade un peu sûre, Angra-Pequeña, dont les Portugais avaient fait une aiguade pour leurs navires, mais où ils n’ont jamais songé à fonder rien de permanent. L’absence de toute concurrence européenne y avait cependant attiré quelques trafiquans allemands qui venaient y faire la troque avec les Namaquas. Les naturels pillèrent les magasins et tuèrent ou blessèrent les serviteurs d’un de ces trafiquans, qui se plaignit à son gouvernement. M. de Bismarck fit connaître l’affaire au foreign office, en demandant qu’une indemnité fût réclamée de la colonie du Cap. On lui opposa les arrangemens conclus en 1880 par lord Kimberley, ministre des colonies, avec les autorités du Cap et qui fixaient la Rivière-Orange pour limite au territoire colonial. M. de Bismarck demanda alors au gouvernement anglais, comme souverain territorial, d’assumer la responsabilité du dommage et de payer l’indemnité. Cette demande fut déclinée par la raison que l’Angleterre ne revendiquait et n’avait l’intention de revendiquer aucun droit de souveraineté sur la côte africaine au nord de la Rivière-Orange, à l’exception de la baie de Walfish. C’était reconnaître que la place appartenait au premier occupant : pour excuser cette déclaration imprudente, lord Derby a écrit ingénument, dans une dépêche au gouverneur du Cap : « Jusqu’à une date tout à fait récente, le gouvernement de Sa Majesté n’avait aucune idée que le gouvernement allemand eût en vue aucune annexion du genre de celle que, d’après la note du baron Plessen, il se serait toujours proposée, l’établissement de colonies ou de protectorats ne paraissant pas être un des objets de la politique nationale allemande. » Sur l’avis qui leur fut donné que leur déclaration mettrait les puissances dont les nationaux seraient lésés dans la nécessité de se faire justice à elles-mêmes, lord Derby et lord Granville prétendirent que, « bien que l’autorité de l’Angleterre n’eût été proclamée sur aucun point, excepté la baie de Walfish et quelques îles, l’assomption, par un gouvernement étranger, d’un droit de souveraineté ou de juridiction, serait considérée comme une atteinte aux droits légitimes de l’Angleterre. » Sans s’arrêter à faire ressortir la contradiction des deux déclarations, le comte Munster se borna à demander « quelles institutions l’Angleterre possédait sur cette côte qui pussent assurer au commerce allemand une protection légale suffisante pour exonérer l’empire du devoir de procurer lui-même et directement à ses sujets, dans ce territoire, la protection dont ils pourraient avoir besoin. » C’était, comme les ministres anglais le comprirent eux-mêmes, mettre l’Angleterre en demeure de faire de sa prétendue souveraineté une réalité ou d’y renoncer. On ne répondit