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une merveilleuse précision du contour, les types des dieux et des héros de premier rang.

Voyez, par exemple, ce portrait d’Agamemnon :

« Par la tête et par les yeux il ressemble au fils de Kronos, qui se réjouit de la foudre ;

« Il a les flancs d’Arès et la poitrine de Poséidon. »

Rappelez-vous les vers fameux et tant de fois imités où le poète montre Zeus accordant à Thétis la faveur qu’elle lui demande :

« Il dit, et de ses noirs sourcils il fit un signe de consentement ;

« La chevelure divine du roi des dieux s’agita

« Sur sa tête immortelle ; le vaste Olympe en fut ébranlé. »

Nous ne connaissons pas de peuple chez qui l’élément plastique ait été aussi développé dans la poésie populaire ; on n’en saurait citer un seul où, bien avant que l’art ait commencé de donner un corps aux visions de l’intelligence, le poète ait autant fait pour faciliter la tâche des peintres des peintres et des sculpteurs de l’avenir, pour leur préparer les matériaux qu’ils mettront en œuvre. Est-il exact que, comme le raconte Strabon, Phidias ait dit à son collaborateur Panænos avoir trouvé dans l’Iliade l’idée première et comme l’esquisse de son Jupiter d’Olympie ? Nous l’ignorons, et la plupart de ces anecdotes nous laissent très défiant ; mais, que celle-ci soit apocryphe ou non, le mot est vrai, de cette vérité supérieure et profonde qui, malgré toutes les réserves de la critique, fait souvent la valeur de ces paroles que l’histoire prête aux hommes célèbres. Il ne s’est pas trompé le grand artiste contemporain qui, dans une de ses plus belles œuvres, a groupé autour d’Homère, à côté des poètes et des écrivains de la Grèce, les Polygnote et les Apelle, les Phidias et les Praxitèle ; eux aussi, ces maîtres de la fresque et du marbre vivant, sont les fils et les élèves du « vieillard aveugle, habitant de Chios la pierreuse, » en qui se résumait et se personnifiait, pour les Hellènes, toute l’école des aèdes et des rhapsodes, de ces chantres inspirés auxquels le monde doit la merveille de l’épopée grecque.


GEORGE PERROT.