Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 70.djvu/311

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’argent[1]. » Ces liens qui assujettissaient les longues boucles de la chevelure d’Euphorbe, c’étaient nos spirales, entre le tour desquelles on faisait passer un paquet de cheveux ; ceux-ci, dès lors, ne pouvaient plus s’échapper ; pinces et tordus par l’élasticité du ressort, ils prenaient un pli qu’ils ne perdaient plus ensuite que bien difficilement. Ces pièces de métal devaient d’ailleurs servir aussi d’ornement. ; les teintes sombres du bronze tranchaient sur les tons clairs des cheveux blonds, comme sur les cheveux noirs le fauve éclat de l’or et la douce blancheur de l’argent.

Par un effet naturel du même goût, on devait aussi friser la barbe ; mais il y n lieu de croire qu’on ne la portait pas tout entière, à la mode assyrienne, avec une grosse moustache en croc. Les contemporains d’Homère connaissaient l’usage du rasoir ; l’emploi de cet instrument avait donné naissance à une expression qui avait eu déjà le temps de s’acclimater dans la langue et de devenir proverbiale. D’une action en suspens, qui pouvait indifféremment tourner dans un sens ou dans un autre, on disait : « L’événement est placé sur la lame d’un rasoir : » ἐπὶ ξυροῦ ἴσταται ἀϰμῆς (epi xuroû istatai akmês) ; image que rendait plus juste encore et plus vive la forme de l’instrument, arrondi en demi-lune[2]. Allez donc prendre pied et vous maintenir sur un tranchant à la fois mince et courbe !

D’autre part, nombre de textes ne nous permettent pas de nous figurer imberbes les Grecs et les Troyens d’Homère ; que faisait-on donc du rasoir ? Pour répondre à cette question, il faut interroger les monumens, ceux où nous avons chance de trouver quelques indications sur ce que pouvaient être, vers le temps d’Homère, les habitudes et la tenue des peuples qui habitaient les côtes du bassin oriental de la Méditerranée. Il y a d’abord les bas-reliefs égyptiens représentant les khéfa ou Phéniciens, ainsi que ceux où figurent les hommes de ces tribus, pour la plupart originaires de I’Asie-Mineure, qui, sous la dix-neuvième et la vingtième dynastie, se sont jetés par mer sur la vallée du Nil. Il y a les statues cypriotes, qui reproduisent fidèlement un type local et très particulier. Enfin on ne saurait aussi se dispenser de consulter les premiers essais de la plastique grecque, les vases et les sculptures que leur style permet d’attribuer sinon au siècle même où s’est achevée l’épopée, du moins à un âge qui en garde encore plus d’un trait. Partout là, les

  1. Iliade, XVII, 52. Un autre vers du poème paraît faire allusion à la même coutume. Il y est dit d’Amphimachos, le chef des Cariens, « qu’il allait à la guerre en ayant sur lui de l’or, comme une jeune fille. » (Iliade, II, 872.) Les anciens commentateurs ont déjà rapproché ce vers de celui qui a trait à Euphorbe.
  2. Les rasoirs de bronze auxquels nous faisons ici allusion se sont rencontrés aussi bien en Italie qu’en Grèce ; à l’époque romaine, le rasoir était en fer, mais il gardait encore cette forme. Voir, à ce sujet Helbig : Eine uralte Gattung von Rasirmesser. (Im neuen Reich 1875, I, p. 14-15.)