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les armes appendues aux lambris[1]. Comme aujourd’hui dans la maison du paysan de la Grèce ou de l’Asie-Mineure, il n’y avait pas, à proprement parler, de cheminée ; on faisait le feu, soit au milieu de la pièce, soit contre un des murs, et la fumée s’en allait comme elle pouvait, soit par la porte ouverte, soit par les interstices des ais de la cloison et du toit.

Certains passages des deux poèmes sembleraient indiquer la connaissance d’une décoration dont l’Orient a usé de bonne heure ; nous voulons parler de revêtemens en métal, en ivoire ou en faïence émaillée qui auraient été appliqués sur les plafonds et sur les murs, parfois aussi sur les seuils des portes[2] ; mais il est remarquable que les textes où il en est question se rapportent aux demeures que sont censés s’être bâties des dieux tels que Zeus, Poséidon et Héphaistos. Il n’y a guère qu’une exception, c’est pour le palais d’Alcinoos ; mais ce palais se trouve dans cette Schéria où tout est merveille et prodige. Quant au palais de Ménélas, Télémaque y admire bien l’éclat du bronze, de l’or rouge et de l’or pâle, de l’argent et de l’ivoire ; mais le poète ne dit pas que toutes ces matières précieuses y recouvrent le mur en manière de lambris. On peut se demander s’il n’entend pas qu’elles y brillent sur les lits, les sièges et les tables, sur les harnais, les armes et les instrumens de musique, sur les coupes et les plateaux qui servaient aux repas. Nombre de vers prouvent que l’on avait dès ce temps le goût de ces incrustations où se complaisent et où excellent maintenant encore les artisans de la Syrie et de la Perse. Aujourd’hui, c’est surtout la nacre qui leur sert à orner le bois de ces petits meubles que le voyageur européen rapporte si volontiers d’une visite aux bazars du Caire, de Damas ou de Constantinople. À la nacre substituez l’ivoire ou le bronze et vous aurez chance de vous représenter ainsi d’une manière assez exacte le style et l’aspect de certains objets mobiliers auxquels il est fait souvent allusion dans les poèmes.

Pour ce qui est des menus ouvrages, on avait donc, dès lors, la pratique de ce genre de travail qui demande surtout de la patience ; certaines tribus sauvages y réussissent dans la perfection ; mais faut-il croire que de grandes surfaces fussent ainsi décorées dans les maisons de ces petits princes à la table desquels les aèdes chantaient les exploits des héros achéens ? Nous ne le pensons pas. On savait par ouï-dire qu’il existait quelque part, dans les lointains royaumes de l’Orient, des palais où l’œil rencontrait partout, sur

  1. Odyssée, XVI, 288-290 ; XIX, 17-20.
  2. Dans le κύανος, qui forme une corniche sur les murs du palais d’Alcinoos, M. Helbig reconnaît cette terre colorée d’un émail bleu que l’Egypte et la Chaldée ont su fabriquer si tôt et qu’elles employaient en si grandes quantités. On sait que la Phénicie leur avait emprunté le secret de la fabrication de ses émaux.