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couleur, et, par ce côté, il demeure encore dans la convention. Pour suppléer à ce qu’il élimine, il lui faut recourir à certains partis-pris, renoncer à copier exactement le détail afin d’obtenir un effet d’ensemble ; voyez, par exemple, comment la sculpture, dans le visage de l’homme, traite l’œil ou les cheveux ! Que serait-ce donc si nous parlions du bas-relief, de la peinture, enfin du dessin proprement dit, lequel, pour rendre la nature, n’a ni l’épaisseur ni la couleur ? Avec un peu de noir sur du blanc, il arrive pourtant à produire l’illusion de la vie, à distinguer tous les caractères de la forme, toutes les nuances de l’expression.

Lorsque l’expérience a découvert et que la pratique a coordonné tous les procédés dont la réunion compose les arts plastiques, lorsqu’une entente s’est établie sur ce terrain, entre l’artiste et son public, lorsque celui-ci sait saisir la valeur du trait le plus léger et de quelques ombres à peine indiquées, il paraît étrange qu’il ait fallu tant d’efforts et de siècles pour obtenir des résultats qui semblent si simples. Force est pourtant de se rendre au témoignage des faits. La loi que nous venons de rappeler ressort de toute l’histoire du génie grec. Or, de tous les grands peuples qui ont concouru à l’œuvre de la civilisation occidentale, le peuple grec est celui dont l’évolution a été la plus régulière, la moins troublée par l’intervention perturbatrice des forces du dehors. A prendre cette race dans son ensemble, comme un être collectif, les différens états de l’âme, avec les œuvres par lesquelles ils se manifestent, les différentes phases de la vie et de la production s’y succèdent dans l’ordre même qui préside au développement de l’individu, lorsque celui-ci est placé dans des conditions normales. En Grèce, chaque fruit parait et mûrit en sa saison. Cette avance que, chez les Grecs, ce peuple si bien doué pour l’art, la poésie a prise sur la plastique, n’est donc pas la conséquence d’un accident et d’un hasard : il y a là l’effet d’une loi que l’histoire de la Grèce suffirait à constater, mais que l’on aura l’occasion de vérifier ailleurs encore, à mesure que l’on connaîtra mieux le passé de l’humanité.

Tout ce que nous avons dit de l’art s’applique, dans une certaine mesure, à l’industrie. Celle-ci ne se propose pas, comme l’art, d’exprimer des idées ; elle ne vise qu’à satisfaire des besoins physiques ; mais si, dans la production industrielle, l’effort a changé d’objet, c’est encore sur la matière qu’il s’exerce ; c’est toujours elle que l’homme doit dompter, assouplir et façonner, qu’il veuille modeler une statue ou qu’il s’applique à se loger et à se meubler, à s’armer, à se parer et à se vêtir. Dans l’un et l’autre cas, il faut tailler la pierre ou le bois, pétrir, tourner et cuire l’argile, fondre et ciseler le métal. Le moindre ouvrage de ce genre suppose la connaissance de procédés techniques dont chacun représente un