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d’autres peuples, plus anciennement civilisés, possédaient depuis longtemps déjà ce qui manquait encore à la Grèce. Sans doute, ils n’étaient pas arrivés à la correction parfaite du dessin, et leurs procédés graphiques avaient parfois quelque chose d’enfantin ; mais cependant, malgré tout, ils savaient modeler des bas-reliefs et tracer des peintures où les générations disparues revivent avec leurs attitudes familières, avec la particularité de leur type et de leur costume national, prises sur le vif dans le mouvement et la diversité de leur vie domestique, des cérémonies de leur culte et de leurs aventures sur terre et sur mer.

Ce sont là des documens d’un prix inestimable, et l’on sait le parti qu’en ont tiré les Rawlinson et les Duncker, les François Lenormant et les Maspero ; mais, en les employant à restituer la vie des peuples de l’Orient, en a-t-on épuisé tout l’intérêt ? Vastes tableaux peints sur les parois des tombes et des temples de l’Egypte, longues suites de bas-reliefs ciselés dans les dalles d’albâtre des palais assyriens, scènes de culte, de chasse ou de bataille gravées au burin dans les bandeaux concentriques des vases de métal que fabriquait la Phénicie, figures de dieux et de prêtres, de rois et de guerriers taillées au flanc des rochers de la Cappadoce et de la Phrygie, tous ces monumens ne peuvent-ils pas nous fournir aussi, par surcroît, des renseignemens utiles sur la civilisation de la Grèce homérique, sur les traits et les couleurs qu’il convient de lui prêter ? Consultés avec adresse et avec discrétion, ces ouvrages des artistes étrangers ne nous donneront-ils pas souvent ce que nous chercherions en vain dans la patrie même du poète : des images qui, mises en regard des vers du poète, en faciliteront l’intelligence ? Sans doute nous n’irons pas demander à l’Egypte ou à la Phénicie le vivant portrait des Achéens ; mais, tout au moins, en cherchant bien, nous aurons chance de trouver quelque part, dans tel ou tel de ces tableaux, la représentation des chars sur lesquels combattaient les héros de l’Iliade, des navires qui les avaient conduits aux rivages de Troie, des meubles dont ils remplissaient leurs demeures des habits et des armes dont ils se revêtaient. On ne pourra, bien entendu, marcher dans cette voie que pas à pas, avec une prudence singulière ; avant de reconnaître dans un objet dessiné par le sculpteur oriental le modèle de celui que l’aède grec avait sous les yeux on aura dû soumettre d’abord à une minutieuse analyse les épithètes que l’épopée applique à l’agent ou à la chose que l’on étudie ; le même travail s’imposera pour tous les détails accessoires qui, dans l’un ou l’autre des deux poèmes, se rapporteront à la matière en discussion. Lorsque cette épreuve aura donné des résultats satisfaisans, on sera fondé à se servir des monumens de l’Egypte et de