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alors même, il emploie plus d’un terme dont le sens resterait obscur pour nous si les monumens ne venaient l’expliquer.

Dans les premiers efforts que l’on a faits pour restaurer l’image de ce monde évanoui, on s’est cru en droit d’emprunter à la statuaire classique les données principales du tableau. C’est ainsi que Flaxman et ses imitateurs habillent, ou plutôt déshabillent les héros de l’Iliade en athlètes du temps de la guerre médique ; ils les dépouillent de tout vêtement. Or nous savons aujourd’hui que la nudité dite héroïque n’est qu’une convention de date assez récente. Entre le siècle d’Homère et celui de Phidias, tout en Grèce a subi de profonds changemens : les mœurs, l’architecture publique et privée, le costume, l’armement et la tactique, le style et le goût des objets de luxe.

Mais, dira-t-on, s’il en est ainsi, comment se fait-il que les artistes qui ont sculpté les frontons d’Égine ou couvert de peintures les portiques de Delphes et d’Athènes ne paraissent pas soupçonner ces différences ? N’étaient-ils pas de la même race que les personnages du poète ? n’avaient-ils pas même langue et mêmes dieux ? N’est-il pas vrai que trois ou quatre siècles seulement séparaient la Grèce d’Eschyle de celle d’Homère ? Personne ne songe à méconnaître ces liens et cette continuité. Pour qui ne compte que le nombre des années, il est certain aussi que les contemporains de Thémistocle et de Périclès étaient bien plus près que nous ne le sommes aujourd’hui de la génération qui la première entendit chanter la colère d’Achille ; mais il y a quelque chose qui, en pareille matière, est tout à l’avantage de l’érudit moderne, quelque chose qui abrège la distance à son profit et qui corrige, dans une large mesure, les effets de la diversité du sang. La force qui opère ce miracle, c’est la curiosité passionnée que nous inspire le passé de notre espèce, c’est ce sens historique qui s’est si singulièrement affiné depuis le commencement de notre siècle. Sans doute, l’honneur d’avoir eu la première idée de l’histoire revient à la Grèce ; mais si, du vivant même de Phidias et de Polygnote, les Hérodote et les Thucydide ont pressenti les méthodes que nous appliquons aujourd’hui, l’esprit qu’elles tendent à développer ne pouvait être encore très répandu dans la Grèce de Périclès. La prose alors venait d’apparaître, et avec elle la faculté d’abstraire et de généraliser, de saisir les causes des événemens et de dégager les lois qui en déterminent la suite, enfin de distinguer et de définir par leurs caractères originaux les temps et les peuples différens. Ce sont là, vers le Ve siècle avant notre ère, des nouveautés qui n’ont pas encore fait école ; la foule est toute nourrie, tout imprégnée de poésie ; elle n’a pas ces scrupules et ces exigences qui se manifestent dans les sociétés où s’est partout insinué l’esprit critique. A l’artiste qui prétend la charmer