Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 70.djvu/290

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’Alcinoüs ou l’orgie des prétendans à Ithaque, sous le toit, du héros qui va les punir ? Nous ne sommes pas de ceux qui croient que les sculpteurs et peintres aient beaucoup à se préoccuper du genre d’exactitude qui touche un archéologue ; quand ils y atteignent ou qu’ils croient y atteindre, c’est presque toujours aux dépens de la noblesse des attitudes et de la beauté des formes. Mais enfin supposons, par impossible, un artiste assez puissant pour que la recherche minutieuse du détail historiquement vrai ne refroidisse pas son inspiration ; comment devrait-il s’y prendre pour nous donner la vision fidèle et comme l’hallucination de ce lointain passé, du théâtre où se jouent ces drames, et des acteurs » qui y tiennent les rôles principaux ?

A plusieurs reprises, dans ces derniers temps, on s’est déjà proposé de retrouver et de réunir les élémens qu’il faudrait rapprocher pour essayer cette sorte d’évocation[1] ; mais aucun des érudits qui ont tenté cette entreprise n’y avait été aussi bien préparé par ses études antérieures ; aucun ne disposait des mêmes ressources que M. Helbig. Celui-ci venait de passer quelques mois en Grèce ; il avait visité Olympie et Mycènes. Dans le musée qui renferme les monumens découverts par la mission allemande sur les rives de l’Alphée, il avait étudié surtout ceux qui ont un caractère très archaïque ; à Athènes, il avait examiné avec un soin très particulier les objets qu’avaient procurés les fouilles de M. Schliemann et de ses émules. Il n’avait donc plus qu’à choisir parmi ces matériaux, à voir quels étaient ceux de ces objets qui répondaient le mieux aux indications du poète et que l’on pouvait, avec le plus de vraisemblance, regarder comme contemporains de l’Iliade et de l’Odyssée. C’était un travail de comparaison et d’appréciation qui avait ses difficultés ; mais au moins la critique se sentait désormais sur un terrain solide, elle était en possession d’une méthode dont le principe ne pouvait être sérieusement contesté.

Cette méthode est, en effet, la seule qui donne des résultats dignes de confiance ; dans toute autre voie, on marche à l’aventure. Il est toujours difficile, souvent il est impossible de se représenter, d’après une simple description, un édifice ou une figure, un costume ou un bijou. Or, dans Homère, il n’y a pas, sauf dans des cas assez rares, de descriptions proprement dites. Le poète récitait ses vers devant un public auquel étaient familiers les objets dont il faisait mention. Une épithète qui en rappelait le trait saillant lui suffisait donc pour en suggérer l’idée ; il n’entrait dans quelque détail que lorsqu’il avait à parler d’un ouvrage extraordinaire, tel que la cuirasse d’Agamemnon, le bouclier d’Achille ou le lit d’Ulysse, mais

  1. Voir particulièrement Buchholz, Dio Homerischen Realien.