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de combats par lesquels il détruisait la flotte chinoise, les défenses de Fou-Tchéou, s’ouvrant victorieusement un passage à travers tous les écueils et toutes les difficultés. Il n’avait pas approuvé l’entreprise sur Formose, cela est certain, il avait même essayé d’en démontrer au gouvernement l’inefficacité et les dangers ; il n’exécutait pas moins les ordres qu’il avait reçus comme s’il les eût approuvés, suppléant à tout par son esprit de ressource et par la netteté intelligente de ses ordres, faisant face aux contretemps de l’occupation meurtrière de Kelung, soutenant ses hommes par sa fermeté simple et calme, se soutenant lui-même au milieu de toutes les épreuves par le sentiment de ses devoirs envers la France. L’amiral Courbet s’était fait dans son escadre l’autorité la plus rare, celle qui naît de la confiance absolue de ceux qui se sentent commandés et protégés par une pensée vigilante. Il avait aussi conquis sans le vouloir, sans y songer, la plus sérieuse popularité en France, et un des phénomènes les plus caractéristiques aujourd’hui, c’est cette sorte d’entraînement instinctif, spontané, chaleureux de l’opinion vers ceux qui font au loin simplement, héroïquement leur devoir. L’opinion ne marchande ses sympathies ni à un Courbet, ni à un Négrier, ni à un intrépide officier comme le défenseur de Tuyen-Kuan, ni à bien d’autres dès qu’elle les voit paraître. Pendant que les politiques de secte s’occupent à détruire ce qui fait une armée, l’opinion française, démentant tout ce qu’on dit pour elle, va droit à ceux qui représentent les vieilles vertus militaires, les vertus qui seules font les vrais soldats.

Certes, l’amiral Courbet méritait cette pure popularité d’un chef fait pour servir de modèle ; il méritait de rester dans la mémoire de ses contemporains avec cette physionomie calme, ferme, de l’homme maître de lui-même, et c’est précisément pour cela qu’il y a eu tout au moins une pensée malheureuse dans cette explosion de correspondances qui a suivi sa mort, dans toutes ces divulgations de lettres intimes qui n’ajoutent rien à ses titres ni à sa gloire. On ne nous fera pas convenir que ce soit là une heureuse inspiration. Oui, sans doute, c’est entendu : ces lettres sont la condamnation la plus décisive de la politique à laquelle l’amiral, par sa position de soldat, devait obéir, et elles frappent trop directement le chef du dernier cabinet, M. Jules Ferry, pour qu’on n’ait pas cédé à la tentation de s’en servir contre lui, pour l’accabler sous le poids de cet éminent témoignage. La politique de M. Jules Ferry, elle est jugée depuis longtemps ; elle est condamnée pour ses fautes, pour ses imprévoyances, pour ses arrogances, pour ses contradictions, et il n’y avait aucune nécessité de rompre le secret des confidences d’un mort, d’exhumer des lettres où l’amiral a pu épancher ses amertumes, qu’il n’écrivait pas sûrement pour le public, qui ne font qu’exprimer des opinions connues ou soupçonnées chez lui, — qui ne peuvent enfin avoir d’autre résultat que de livrer son