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établie au Tonkin, reconnue par la Chine elle-même, une réalité bienfaisante et utile. La guerre avec le Céleste-Empire est finie, l’œuvre de la paix et de la civilisation commence. Ce nouveau traité de Tien-Tsin est assurément le bienvenu, surtout s’il est respecté et si l’on sait en tirer parti. Une réflexion bien simple cependant revient toujours obstinément à l’esprit. Les conditions les plus essentielles, consacrées par la convention nouvelle, auraient pu être obtenues depuis plusieurs années déjà, si l’on avait montré plus d’esprit de suite, plus de sûreté dans les desseins, plus de décision, si l’on avait su ce que l’on voulait, — et pour en revenir au point où l’on se retrouve à peu près aujourd’hui, quelles aventures n’a-t-on pas courues ! On s’est jeté les yeux fermés dans une campagne lointaine, sans se rendre compte de ce qu’elle coûterait, des moyens d’action qu’il y aurait à déployer, au risque d’envoyer des forces toujours insuffisantes à la poursuite d’un but mal défini et de se mettre à la merci d’un imprévu toujours nouveau. On s’est exposé à compromettre quelquefois nos forces dans des actions décousues qui auraient pu devenir des désastres, à user notre marine à tel point qu’elle est aujourd’hui à refaire et qu’elle coûtera sûrement plus cher que toutes les indemnités qu’on aurait pu obtenir de la Chine, qu’on n’a pas persisté à réclamer. La seule compensation d’une politique d’incohérence, c’est que nos soldats ont su trouver là, malgré tout, une occasion de montrer qu’ils avaient toujours en eux la vieille sève française, et c’est justement au milieu de ces épreuves d’une campagne de deux ans que s’est élevé celui qui revient aujourd’hui, enveloppé dans les plis du drapeau qu’il a glorifié, — l’amiral Courbet.

Peu connu jusqu’alors, accoutumé à servir sans bruit dans une carrière parcourue avec autant de modestie que d’honneur, l’amiral Courbet était de ceux qui n’attendent qu’une occasion pour, montrer ce qu’ils sont. L’expédition du Tonkin, à laquelle son nom entre tous reste attaché, avait eu du moins ce mérite de révéler en lui l’homme fait pour le commandement, un chef prévoyant et sûr, savant et actif, aussi apte à préparer une opération qu’à conduire ses navires et ses marins au feu. Ainsi il s’était montré dans toutes les positions où il avait été placé depuis qu’il avait paru sur ces mers lointaines où il devait en si peu de temps briller et mourir. Chargé un instant du commandement de toutes les forces françaises, qui étaient alors peu nombreuses, sur le Fleuve-Rouge, il se signalait aussitôt par une action conduite avec autant de prudence que de fermeté, par la prise de Son-Tay, et il ne désespérait pas de pacifier le Tonkin, lorsque la politique régnante se hâtait d’envoyer un nouveau chef militaire pour remplacer celui qui venait d’inaugurer la campagne par un succès. Rendu à la marine, au commandement de toute l’escadre des mers de Chine, il se tenait prêt aux opérations nouvelles que l’échauffourée de Bac-Lé rendait inévitables, et bientôt il livrait dans la rivière de Min cette série