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civilisation disparue. Les travailleurs attaquent un jour un mamelon couvert de sable, qui s’élevait seul dans la plaine. Le premier coup de pioche produit un éboulement. Des pierres se détachent et roulent pêle-mêle, entraînant le sable avec elles. Une porte gigantesque gardée par deux taureaux ailés apparaît. C’est la porte d’un palais ou d’un temple fermé depuis trois mille ans. Le savant se précipite à l’intérieur où la lumière du soleil l’accompagne. Tout s’illumine et tout rayonne. La nuit a conservé intactes les peintures, les dorures, les ornemens qui couvrent les murailles, les plafonds, où s’enchevêtrent des monstres mystérieux ou symboliques. Telle était la demeure quand le roi l’a quittée pour mourir au milieu de ses soldats : telle on la revoit. Les chevaux aux harnais d’argent courent sur les frises, les chars d’or se heurtent en de grands bas-reliefs qui reproduisent des chasses ou des guerres ; là des verdures épaisses couvrent les campagnes, ou se dressent des forteresses blanches crénelées ; les fauves à la peau tachetée rugissent dans leurs antres, les chasseurs et les guerriers vêtus d’écarlate tendent leurs arcs ou lancent des javelots aigus. Tout cela resplendit de couleurs harmonieuses et violentes comme les tapis de Perse. Mais avec le jour, un air nouveau a pénétré dans le palais. En quelques minutes tout se fane. Les ors se taisent, les rouges pâlissent, les verts disparaissent, les bas-reliefs reprennent la morne teinte de la pierre, le palais se décolore et s’éteint. Tout est fini, Ninive a vécu pour la dernière fois ! Et le pauvre savant reste seul au milieu de la grande salle blafarde, gardant dans ses yeux la vision d’un monde oublié ! En sera-t-il ainsi de notre école de peinture ? Ne l’aurons-nous vue que pour un jour ? Ah ! si cela devait être, combien nous apparaîtraient plus gaies et encore plus consolantes ces belles figures de marbre que nos sculpteurs modèlent pour les temps futurs, et qui attesteront à l’avenir la grandeur de l’art français !


GUSTAVE OLLENDORFF.