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d’agens de l’Angleterre : il avait donc chargé le comte Munster d’exprimer à lord Granville l’espérance que le gouvernement britannique mettrait désormais ses actes plus en rapport avec ses assurances pacifiques. Puis, il ajouta ces paroles mémorables qui formaient la conclusion de ce discours : « Si le gouvernement anglais adoptait l’opinion de quelques sujets de la reine à l’égard de notre politique coloniale, nous ne pourrions donner notre appui à la politique anglaise dans beaucoup d’autres questions qui l’intéressent vivement, sans encourir la désapprobation du peuple allemand. Nous pourrions nous trouver amenés sans le vouloir à soutenir les adversaires de l’Angleterre et à entrer en arrangement d’après la règle Do ut des » On sait le retentissement que ces paroles ont eu en Europe et le commentaire que les faits en ont donné.

Le 17 janvier, l’ambassadeur anglais, sir Édouard Malet, accouru à son poste, remit au comte Hatzfeldt une longue note récapitulative des correspondances antérieures, qui se terminait par une protestation contre la prise de possession par l’Allemagne de la côte nord de la Nouvelle-Guinée et de l’archipel de la Nouvelle-Bretagne et annonçait que le gouvernement anglais venait d’envoyer au commodore Erskine des instructions à l’effet d’établir le protectorat de la reine sur la portion de la côte nord comprise entre le cap de l’Est et le golfe de Huon, qui semblait être la limite du territoire annexé par l’Allemagne, ainsi que sur les Louisiades et les îles Woodlark, les îles d’Entrecasteaux ayant déjà été annexées en même temps que la côte sud. Quarante-huit heures s’étaient à peine écoulées depuis la remise de cette note que M. de Bismarck télégraphiait au comte Munster que « s’il était donné suite à la mesure annoncée, les intérêts allemands et anglais entreraient certainement en collision. » Le cabinet anglais maintint les instructions envoyées au commodore Erskine, le cabinet de Berlin à son tour, protesta formellement contre cette extension du protectorat anglais ; et des notes extrêmement vives furent échangées entre les deux gouvernemens. Leurs prétentions sont inconciliables : lequel des deux cédera ? La réponse de lord Granville à la dernière note allemande n’a pas encore été publiée. M. de Bismarck se contentera-t-il de la portion de la côte nord qui lui a été abandonnée ? A-t-il exigé et a-t-il obtenu qu’on la lui cédât tout entière ? La réponse à cette question se trouvera dans le prochain Livre bleu ou dans le prochain Livre blanc.

On vient de voir que le gouvernement anglais, préoccupé de l’orage qu’il appréhendait en Australie, s’était décidé à affronter le courroux de M. de Bismarck. Le gouverneur de Victoria venait de lui transmettre la protestation qu’il avait reçue de M. Service,