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contre n’importe quel pays, sans excepter l’Angleterre elle-même. On a beaucoup parlé de notre fidélité : elle s’est mal adressée jusqu’ici. C’est à notre chair et à notre sang que nous devons être fidèles, et non à lord Derby et à M. Gladstone. » M. Morehead fut, s’il se peut, plus agressif encore. « Ce qui se passe, dit-il, est le résultat des misérables engagemens que le gouvernement anglais a contractés, non dans l’intérêt de l’Australie, mais dans le seul intérêt de l’Angleterre. Si nous avions été une nation indépendante, — ce que nous serons avant peu d’années, s’il plait à Dieu, — aucune puissance étrangère, si faible que soit encore notre population, n’aurait osé mettre le pied sur des îles aussi voisines de nos côtes. » En face d’une opposition nombreuse et ardente, les défenseurs de la métropole se bornaient à alléguer qu’on ne connaissait pas encore le dernier mot des intentions du gouvernement anglais, qu’il fallait attendre et que le langage violent dont on usait était au moins prématuré. Si telle était déjà la disposition des esprits en Australie, on juge aisément de ce qu’elle devint, lorsqu’on apprit quelques semaines plus tard que l’Allemagne avait pris possession de la côte septentrionale de la Nouvelle-Guinée et des îles adjacentes ; mais pour apprécier dans quelle position fausse et humiliante le gouvernement anglais se trouva vis-à-vis des Australiens, il est nécessaire de revenir en arrière et d’ouvrir le livre blanc communiqué par M. de Bismarck au parlement allemand, le 5 février 1885, et intitulé : les Intérêts allemands dam les mers du Sud, n° 2.

Le 20 mai 1883, le consul d’Allemagne aux îles Marshall signalait à son gouvernement les procédés violens du capitaine et de l’équipage du schooner le Stanley, de Maryborough, dans le Queensland, qui était venu aux îles Laughlan pour recruter des travailleurs : on avait dévasté la propriété d’une maison allemande, MM. Hernsheim et C’e, qui avait voulu mettre obstacle à ce recrutement. Le 4 septembre suivant, le baron von Plessen, qui gérait l’ambassade de Londres, adressa à ce sujet à lord Granville une note très étendue sur les abominations du recrutement des travailleurs dans la Polynésie, qui, tel qu’il était pratiqué par des bâtimens naviguant sous pavillon anglais, différait à peine de l’ancienne traite des noirs avec ses rapts et ses violences. La note appelait l’attention du cabinet de Londres sur divers faits scandaleux commis par des bâtimens anglais employés à ce trafic ; elle demandait si le gouvernement de la reine avait connaissance des excès de ce genre qui se renouvelaient aux îles de la Nouvelle-Bretagne et de la Nouvelle-Irlande, s’il avait pris des mesures pour en vérifier l’exactitude et en prévenir le retour. Enfin, elle informait lord Granville que le gouvernement impérial était décidé, de son côté, à maintenir un bâtiment de guerre en station