Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 70.djvu/180

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plusieurs archipels et assurer une protection vigilante au commerce allemand par la multiplication d’agens consulaires, elle contestait à la France, à l’instigation des Australiens, le droit d’occuper les Nouvelles-Hébrides, dans le voisinage immédiat de la Nouvelle-Calédonie : mais c’est surtout la Nouvelle-Guinée, ou Terre des Papous, qui a excité la convoitise des Australiens. Les diverses assemblées coloniales ont émis, à plusieurs reprises, la prétention d’établir au profit de l’Australie une sorte de doctrine Monroe, en revendiquant sur toutes les îles du Pacifique un privilège d’appropriation et en contestant à toute autre puissance que l’Angleterre le droit de fonder des établissemens ou de faire des acquisitions dans le voisinage du continent australien. La convention, réunie à Sydney en 1883 pour étudier le projet de confédération, a adopté à l’unanimité la résolution suivante : « Toute acquisition nouvelle par une puissance étrangère quelconque, dans l’ouest du Pacifique, au sud de l’Equateur, serait hautement préjudiciable à la sécurité et à la prospérité des possessions britanniques en Australie et porterait atteinte aux intérêts de l’empire. »

Si l’on réfléchit que plus de la moitié du continent australien est encore inexplorée et que les trois cinquièmes des côtes n’ont encore reçu aucun établissement, on est amené à se demander pourquoi les Australiens, dotés d’un aussi vaste territoire, où une population décuple de la leur se trouverait encore à l’aise, sont animés de cet esprit d’exclusion et font preuve d’une passion d’agrandissement au moins prématurée. La Nouvelle-Guinée est, après Bornéo, la plus grande ile du globe : sa superficie est supérieure à celle de la France. L’inquiète jalousie des Australiens ne s’explique que par l’appréhension d’une concurrence commerciale victorieuse et par une préoccupation moins avouable. L’Angleterre, qui, dans l’intérêt de ses colonies des Antilles, a poursuivi avec acharnement l’abolition de la traite des noirs, a introduit dans l’Océan-Pacifique la traite des jaunes. Certaines des colonies australiennes se livrent à la culture des céréales ou à l’élève du bétail ; d’autres, et particulièrement Queensland, dotées d’un climat beaucoup plus chaud et d’un sol plus fécond, ont entrepris la culture de la canne à sucre et du tabac ; mais le développement de leur prospérité est entravé par le manque de bras, la population indigène ayant été exterminée ou refoulée dans les solitudes de l’intérieur. Les planteurs australiens ont voulu y suppléer en employant à ces travaux interdits aux blancs les habitans des îles du Pacifique, surtout des plus rapprochées. On a vu renaître aussitôt les exploits inhumains des négriers. Des entrepreneurs se sont chargés de procurer des travailleurs au plus juste prix : ils abordaient dans les îles, attiraient