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réclamations qu’ils adresseront à la métropole acquerront beaucoup plus de force en devenant collectives, et que leurs mandataires seront plus certains d’être écoutés, le jour où ils parleront au nom d’un continent tout entier. La population des cinq colonies dépasse déjà trois millions d’âmes ; elle est supérieure à celle des colonies de l’Amérique du nord lorsqu’éclata la guerre de l’indépendance. Il n’est donc pas surprenant que beaucoup d’Anglais envisagent d’un œil peu favorable ces projets de confédération australienne qui leur paraissent, à juste titre, le préliminaire d’une émancipation prochaine. Aussi le cabinet et les journaux de Londres ont-ils accueilli avec une satisfaction qui tient de l’enthousiasme l’offre faite par la Nouvelle-Galles du sud de concourir à l’expédition du Soudan par l’envoi d’un corps auxiliaire, recruté exclusivement en Australie et entretenu aux frais de la caisse coloniale. Ce corps auxiliaire, fort de 730 hommes et composé d’anciens soldats ou d émigrans récemment arrivés en Australie, a débarqué effectivement à Souakim, où il a été reçu avec tous les honneurs militaires. On a affecté de voir dans l’envoi de cette poignée d’hommes un gage de l’inviolable attachement des colonies à la métropole. C’est peut-être se faire beaucoup d’illusions. Tant que les Français ont possédé le Canada et ont été maîtres du cours de l’Ohio et du Mississipi par les postes fortifiés qu’ils avaient établis sur ces grands fleuves, la crainte d’avoir affaire à un ennemi puissant et d’être éternellement resserrés, entre les Alleghanys et la mer, a fait des colons américains les sujets les plus fidèles de la couronne britannique. C’est dans la campagne où Québec succomba que Washington fit ses premières armes avec le grade de major dans un régiment colonial. Dix ans après la cession du Canada et de ses dépendances à l’Angleterre, les colonies américaines, délivrées du spectre d’une invasion française, proclamaient leur indépendance.


II

Reconnaissons que la démonstration des autorités de la Nouvelle-Galles du sud, si insignifiante qu’elle fût en elle-même, devait être d’autant plus agréable au gouvernement anglais que les Australiens ont de nombreux griefs contre la métropole, et qu’ils les exprimaient, depuis quelques mois, avec la plus bruyante vivacité. Indépendamment de la question de sécurité qui a déjà été indiquée, les Australiens ont des sujets de plaintes plus prochains qui touchent directement à leurs intérêts et à leur bourse. C’est par là que l’antagonisme est né et qu’il s’aigrira quelque jour, comme il est arrivé autrefois pour les colonies américaines. L’Australie a eu