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qu’une contestation s’élève avec la métropole ou qu’un sujet de mécontentement se produit, ces idées se font jour dans les feuilles et même dans les assemblées coloniales. Aveugle serait celui qui n’y verrait point le germe de la dislocation future de cet immense empire colonial.

C’est dans les Antilles, jusqu’ici, que le mécontentement s’est manifesté avec le plus de vivacité. La situation de ces colonies est loin d’être prospère. Le sucre est leur principal, sinon leur unique production ; or le gouvernement anglais a toujours refusé de leur assurer, par l’établissement de droits différentiels, aucun avantage sur le marché métropolitain ; il a même fini par supprimer tout droit d’entrée sur le sucre dans l’espoir de faire de l’Angleterre le grand entrepôt de cette denrée et d’y développer l’industrie de la raffinerie. Les sucres de betterave, dont la production s’est démesurément accrue sur le continent, ont afflué en Angleterre et ont fait aux sucres coloniaux une concurrence irrésistible. La perte du marché métropolitain a consommé la ruine des planteurs, qui ne savent plus où trouver des débouchés. Justement préoccupée de la situation de Cuba, l’Espagne a cherché à sauvegarder les intérêts de sa grande colonie en négociant un traité de commerce avec les États-Unis, auxquels elle a offert certains avantages on retour de l’admission des sucres de Cuba et de Porto-Rico. Le traité, conclu sur ces bases, n’a pas encore été approuvé par le sénat des États-Unis, parce que, s’il est appuyé par les industriels américains, il est combattu non moins vivement par les planteurs de la Louisiane et du Mississipi : néanmoins, il a déterminé une véritable effervescence dans les Antilles anglaises. La plupart des assemblées coloniales ont mis le gouvernement métropolitain en demeure de négocier avec les États-Unis et d’obtenir pour les planteurs anglais les avantages assurés à Cuba et à Porto-Rico. L’assemblée de La Dominique est allée plus loin ; par un vote rendu à la presque unanimité, elle a revendiqué le droit, si la métropole ne lui donne pas satisfaction, de prononcer l’annexion de l’Ile aux États-Unis. Ailleurs, on a mis en avant l’idée de constituer entre les colonies anglaises d’Amérique, Antilles, Canada et Guyane, en vue de l’échange mutuel de leurs produits, une sorte de Zollverein, et d’établir un système de droits différentiels au détriment des produits anglais.

Ce n’est pas sans quelque inquiétude que le gouvernement britannique suit ce mouvement des esprits dans ses possessions d’outremer : il cherche à resserrer les liens trop relâchés qui unissent la métropole et ses dépendances en prodiguant les distinctions et les faveurs aux colons les plus influens, lorsqu’ils se montrent les adversaires des idées de séparation. Par une innovation qui a été fort