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mouvement reçu par un nerf centripète qui ne soit réfléchi sur un nerf centrifuge, où il se continue sans jamais pouvoir se perdre. De même, point de sensation reçue qui ne se réfléchisse en un effort quelconque pour écarter ou pour maintenir l’objet, selon qu’il est pénible ou agréable. Même dans les cas d’apparente indifférence, il y a toujours au fond de notre cerveau, siège de mouvemens insensibles, une réponse du dedans au dehors, une exertion de force motrice. C’est ce que la physiologie contemporaine exprime en disant que les phénomènes cérébraux sont à la fois sensoriels et moteurs. L’action réflexe, à son tour, décrit un arc de cercle plus ou moins étendu : une petite impression, comme un léger coup sur la tête, provoque une petite réaction qui ne dépasse guère le cerveau ; une autre plus forte va jusqu’aux membres ; un coup violent met le corps en mouvement dans l’espace, etc. De là une sphère d’intensités plus ou moins grandes, dans laquelle viennent se ranger toutes nos impressions sensibles et toutes les réactions motrices correspondantes : juger et « objectiver, » c’est simplement mesurer l’intensité de la réaction nécessaire pour répondre à une impression ; c’est avoir conscience de la force centrifuge en rapport avec la force centripète, dans une représentation ou idée quelconque.

Telle est, selon nous, la classification primitive et fondamentale des idées selon leur force, qui précède toute classification dans l’espace et dans le temps. Il en résulte un curieux effet de perspective intérieure : toutes nos images finissent par se ranger spontanément et se classer dans une sphère dont nous occupons le centre et dont la circonférence semble se dilater ou se concentrer tour à tour. Ainsi, dans un fluide, les objets, selon leurs densités diverses, viennent prendre place plus ou moins loin, les uns montant, comme le liège, vers la surface, les autres tombant comme le plomb, vers les profondeurs ; c’est le symbole de l’ordre qui s’établit de soi-même entre nos représentations selon leurs forces respectives. Les images simultanées du toucher et de la vue se disposent dans des cercles concentriques dont l’ensemble indéfini forme le monde extérieur ; l’un de ces cercles n’embrasse que notre corps, les autres embrassent les objets voisins de notre corps, les autres des objets de plus en plus éloignés, jusqu’à la voûte du firmament. N’apprenons-nous pas fort bien à distinguer ce qui se passe uniquement dans l’intimité du cerveau et ce qui nous vient de la périphérie du corps, fût-ce de la surface du crâne ? « L’objectif » et le « subjectif » ne sont qu’une affaire de distance relative et d’éloignement, par conséquent de localisation. L’image d’un coup est elle-même, en somme, extérieure et objective ; seulement elle est cérébrale et non projetée hors de notre corps. Simple