en idée : « Vous aurez beau essayer, dit un des personnages, vous ne pourrez jamais vous représenter ce que c’est que de sentir en soi la force d’un génie d’homme et de subir l’esclavage d’être une fille. »
Les lettres et les quelques vers qu’on possède d’elle pour ces années n’étaient pas pour l’avertir de sa voie. Les vers sont insignifians, les lettres n’ont d’intérêt que parce que leur auteur est devenu célèbre ; à en juger par les trois volumes que nous avons sous les yeux, George Eliot n’a jamais su écrire une lettre ; c’est un talent féminin qui lui manque. Ses correspondances de jeunesse, avant qu’elle eût quitté Griff, ont déjà les défauts de style que la critique attribuera, quarante ans après, à l’influence de M. Herbert Spencer et à l’excès des études scientifiques. Elle abuse déjà du terme abstrait et des comparaisons scientifiques. Elle est déjà capable (avant vingt ans ! ) d’écrire sans frémir : « Mes organes d’idéalité et de comparaison, » et de conduire jusqu’au bout, sans broncher, des comparaisons de ce genre : « J’ai mené dans ces derniers temps une vie si en l’air et mes occupations ont été si décousues, que mon esprit, qui n’est jamais de l’espèce la mieux organisée, est encore plus que de coutume à l’état de chaos ; ou plutôt il ressemble à une couche de fragment conglomérés où apparaissent, ça et là, tantôt une mâchoire au une coin de quelque puissant quadrupède, tantôt l’empreinte délicate de quelque plante de la famille des fougères, de minces coquilles, et des objets mystérieux et indéfinissables, solidement incrustés dans une pierre uniforme et sans intérêt, mais utile. » On n’échappe pas à son sort. L’écolière qui s’exprimait ainsi parce qu’elle pensait ainsi, étal vouée à parler plus tard de mobilier mental, d’incapacité congénitale, et de la sensibilité sélective virile de Rembrandt. Il suffira d’ajouter que miss Evans songeait alors à faire un poème sur les Progrès de l’architecture.
Au printemps de 1841, M. Robert Evans céda Griff à son fils Isaac, se retira des affaires et s’établit à Coventry avec sa fille. Ce fut un grand événement pour celle-ci. Elle se jeta en affamée sur tout ce que Coventry lui offrait en maîtres et en livres. Elle apprit le grec, le latin et l’hébreu, travailla l’allemand, le français et l’italien, poussa les sciences et la philosophie. Pendant dix ans, elle va amasser la vaste instruction qui servira ensuite de point d’appui à son imagination et qui en sera quelquefois le fardeau. En même temps, elle se formait une société intelligente. Ce fut là qu’elle se lia avec les Bray et les Hennell, gens distinguos et aimables, tous plus ou moins hérétiques. Une amie commune leur amena miss Evans dans la pensée que sa piété toucherait peut-être et ramènerait ces brebis