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imposer, et quand un homme « avait l’air d’un coq qui croit que le soleil s’est levé tout exprès pour l’entendre chanter, » elle le disait comme elle le pensait. Lorsqu’on est une demoiselle Pearson, et qu’on sait faire le beurre d’après la méthode Pearson, on a le droit d’avoir son opinion, et l’on use de son droit.

Il y avait eu quatre demoiselles Pearson, toutes quatre également convaincues de la supériorité du beurre Pearson sur tous les autres beurres de la paroisse. Les trois sœurs de Mrs Evans ont posé pour les tantes Dodson du Moulin sur la Floss. Elles appartenaient, comme les Dodson, à l’une de ces familles où l’on a des procédés particuliers pour tout faire et où l’on est parfaitement sûr de posséder les seuls bons procédés. On y fait toujours tout bien, qu’il s’agisse de saler un jambon, de régler un enterrement ou de pleurer un malheur, en sorte qu’il suffît d’être de la parenté pour posséder une supériorité indiscutable sur toute la portion du genre humain qui n’est pas de la parenté. Un Dodson peut commettre des fautes individuellement ; en tant que membre de la famille, il est impeccable. Nous avons tous parmi nos connaissances une famille Dodson.

Heureusement pour les siens, Mrs Evans ne ressemblait aux quatre sœurs du Moulin sur la Floss que par sa confiance aux recettes particulières considérées comme étant dans le sang et transmissibles par le sang seulement. Son penchant pour les épigrammes ne l’empêchait pas d’avoir un brave cœur, dévoué et charitable. Merveilleusement active et entendue, toujours levée de grand matin, tenant sa laiterie comme beaucoup de musées ne sont pas tenus, elle aurait profondément méprisé la théorie de sa fille sur la domination exercée sur l’homme par les circonstances. Ce n’était pas Mrs Evans qui se laissait dominer par les circonstances. Quelle que fût la saison et quelles que fussent les complications domestiques du jour, à neuf heures du matin l’ouvrage de la maison était fini et Mrs Evans prenait son tricot. Elle prouvait aussi la décision de son caractère en sortant ses fourrures le 1er novembre, sans s’occuper de la température, car elle se rappelait très bien que, dans sa jeunesse, il faisait toujours froid le 1er novembre, et si le temps ne savait plus ce qu’il faisait, cela ne regardait pas Mrs Evans. Maigre, jaune, souffrant d’une maladie de foie, sa santé s’altéra de bonne heure. Elle avait eu trois enfans, Chrissy, Isaac et Mary Ann.

Chrissy était une petite fille bien sage qui ne salissait jamais son tablier. Elle s’appelle Lucy Deane dans le Moulin sur la Floss et elle a joué un personnage aussi effacé dans la réalité que dans la fiction. Isaac et Mary Ann sont mis en scène dans le même roman sous les noms de Tom et Maggie Tulliver. Les sentimens et les