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termes sibyllins la victoire « d’une armée noire, vengeresse, qui germe lentement dans les sillons, grandissant pour les récoltes des siècles futurs et dont la germination va bientôt faire éclater la terre. » Après avoir décrit sous les couleurs les plus sombres, et sans tenir aucun compte des transformations apportées dans l’industrie des mines depuis une quinzaine d’années, la situation des ouvriers mineurs, il aurait été peut-être de bonne justice de marquer ce que l’on a fait pour adoucir les misères inséparables de cette situation. C’est ce que je voudrais essayer d’indiquer en m’appuyant sur un document qui n’a rien d’un roman : à savoir un rapport de M. Keller, ingénieur des mines « sur les caisses de secours pour les mineurs et autres institutions de prévoyance ayant fonctionné sur les houillères en 1882. » C’est de ce travail fort peu connu, et fort digne de l’être, que j’ai extrait les renseignemens suivans.

En 1882, il y avait en France 111,317 ouvriers employés dans les mines de houille ou d’anthracite, qui étaient au nombre de 308. Leur salaire moyen par jour de travail était de 4 fr. 12 pour les travaux du fond, et de 2 fr. 68 pour les travaux de la surface, auxquels sont employés beaucoup de femmes et d’enfans. Mais, à cause des dimanches et jours fériés, ils ne travaillent que 295 jours par an, ce qui montre, soit dit en passant, que dans cette branche de la grande industrie, comme dans beaucoup d’autres, le repos du dimanche, si salutaire au corps comme à l’âme, est parfaitement observé, et cela sans qu’il soit besoin de lois coercitives. Comme, pour ne pas travailler le dimanche, on n’en est pas moins obligé de manger, ce chômage partiel réduit le salaire annuel à 3 fr. 33 par jour pour les travaux souterrains, et à 2 fr. 16 pour les travaux de surface. Encore n’est-ce là qu’une moyenne probablement grossie par le salaire de quelques ouvriers, en assez petit nombre cependant, qui sont payés exceptionnellement, de sorte qu’en réalité le salaire de la majorité des ouvriers mineurs ne doit pas atteindre à ce chiffre. C’est donc, on le voit, une profession assez maigrement rétribuée, étant donnés la nature et le danger des travaux. Il convient cependant de faire remarquer que, dans un grand nombre d’industries, les ouvriers ne le sont pas davantage et qu’ils n’ont pas tous les avantages accessoires dont, comme nous allons le voir, les ouvriers mineurs sont appelés à bénéficier. C’est ici que le rapport de M. Keller devient particulièrement intéressant. Sur les 111,317 ouvriers employés en 1882 dans les mines de houilles, 109,237 participaient à des caisses de secours et de retraites, soit une proportion de 97 pour 100. Les 1,070 ouvriers qui ne participaient à aucune institution de cette nature étaient répartis sur 103 mines différentes,