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même depuis trente ans, puisque partout, sauf en Russie et en Turquie, il y a désormais des élections, des assemblées, des ministères qui ont besoin d’une majorité parlementaire, un certain ensemble d’institutions représentatives et de garanties publiques. Les monarchies les plus absolues d’autrefois ont fini par se transformer en monarchies constitutionnelles. Le régime parlementaire n’est point sans doute en Autriche ce qu’il est en Angleterre : il est plus compliqué, il a dû nécessairement s’adapter aux traditions, aux conditions d’un empire fondé sur la diversité et l’équilibre des races ; il vit néanmoins, il fonctionne régulièrement, librement, et, en définitive, avec une dynastie qui reste la représentation respectée et populaire de l’unité de l’état, avec des ministères suffisamment prudens, la paix règne par les institutions nouvelles des deux côtés de la Leitha, à Vienne comme à Pesth. Les crises naturelles et inévitables de tous les pays libres ne sont même jamais bien graves en Autriche, tout se réduit le plus souvent à des incidens, à quelques agitations passagères. On vient de le voir encore par ces élections qui se sont faites pendant quelques jours, pour le renouvellement du Reichsrath.

L’expérience ne manquait pas d’intérêt. C’était la première application d’une loi nouvelle qui a été votée il y a trois ans et qui avait précisément pour objet de mettre une certaine unité dans une législation électorale assez confuse, qui avait surtout pour résultat de créer un million d’électeurs de plus, ce qu’on appelle les électeurs à « cinq florins. » Le scrutin s’ouvrait donc dans des conditions assez nouvelles, et il s’agissait de savoir ce que produirait la réforme électorale, si elle favoriserait les centralistes allemands qui ont depuis longtemps perdu le pouvoir, si elle fortifierait au contraire les autonomistes de toutes les nationalités, qui ont formé dans le dernier Reichsrath la majorité habituelle du gouvernement. La lutte avait certainement son importance pour l’Autriche, et aux premiers momens elle a paru s’engager avec quelque vivacité. Les partis ont publié leurs programmes, leurs manifestes ; les candidatures se sont multipliées. La mêlée a pu être chaude sur quelques points et le vote a été disputé. Au demeurant, sauf quelques scènes un peu tumultueuses qui se sont produites dans un des faubourgs de Vienne, les élections autrichiennes se sont accomplies tranquillement, sans exciter même dans la masse du pays des émotions bien sérieuses, et elles peuvent être considérées comme une victoire pour le gouvernement. Les quelques socialistes et antisémites qui ont été élus ne sont qu’une petite et obscure minorité en dehors des partis réguliers. Parmi ces derniers partis, les libéraux allemands, les centralistes, qui représentent l’opposition et forment la gauche du Reichsrath, sont ceux qui ont le plus perdu ; ils ne comptent plus guère que 130 membres dans le nouveau Reichsrath, et encore y a-t-il dans ce chiffre des radicaux qui sont des