Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 69.djvu/958

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

compte qu’il y aura quelque popularité pour ceux qui auront voté la loi, de telle façon que, dans un intérêt électoral, on croit pouvoir jouer avec tout ce qui fait la puissance de la France. Ceci rentre probablement encore dans le programme de la « concentration des forces républicaines, » et le pays, qui a depuis quelques années l’expérience de ce genre de politique, ne pourra décidément qu’être éclairé et édifié sur la manière dont ses affaires seront conduites.

Si la France a ses épreuves, souvent laborieuses et coûteuses, même quand elles ne sont pas encore trop violentes, l’Angleterre a aussi les siennes pour sa part. L’Angleterre vient d’entrer dans une crise qui a pu être précipitée par un incident imprévu, qui n’est cependant, en définitive, que la suite et le dénoûment de ses embarras multipliés de ces derniers temps. Il n’est point douteux que le ministère de M. Gladstone, malgré l’ascendant et la popularité de son chef, avait la vie difficile depuis quelques mois, qu’il se débattait énergiquement, quelquefois aussi péniblement, dans la situation la plus compliquée, avec des affaires diplomatiques et des affaires intérieures qui ne faisaient que s’aggraver. Le cabinet anglais n’a point été heureux dans ses entreprises, dans toutes les questions qu’il a soulevées ou qu’il a dû accepter, c’est bien évident ; il a aussi mérité assez souvent, il faut l’avouer, par ses imprévoyances, par ses perpétuelles hésitations, les mécomptes qui ne lui ont pas manqué depuis quelque temps. Il s’est engagé en Égypte moins par une conviction réfléchie que par une sorte d’entraînement d’opinion, sans savoir ce qu’il voulait faire, sans avoir bien mesuré la portée de son intervention et les responsabilités de diverse nature qu’il acceptait. Il a voulu attester la puissance de l’Angleterre par l’envoi d’une expédition dans le Soudan ; et, malgré le courage des soldats britanniques, il n’a eu que des déceptions. Il s’est cru obligé de rappeler son armée, de renoncer à une campagne difficile dans les déserts du Haut-Nil, au risque d’attirer sur les pas de ses soldats en retraite l’insurrection du mahdi, qu’il était allé combattre ; il n’a pas hésité à faire devant le monde une sorte d’aveu d’impuissance, qui pouvait être un acte de sagesse courageuse, qui ne laissait pas cependant d’être pénible pour l’orgueil britannique. Par une fatalité de plus, le ministère anglais se trouvait en même temps entraîné dans une querelle bien autrement redoutable, et subitement aggravée, avec la Russie, à propos des frontières de l’Afghanistan et des opérations militaires du général Komarof autour de Penjdeh. Là aussi il a voulu d’abord suivre le sentiment public qui éclatait en Angleterre. Il a commencé par des discours ardens, par des protestations, par des demandes d’enquêtes adressées à la Russie, par des armemens bruyans. Il n’a pas tardé à changer de ton et d’attitude devant la froide impassibilité russe ; il a fini bientôt par réduire toutes ses prétentions et par se résigner à ce qu’il ne pouvait empêcher en