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lui-même surpris, et M. Jules Ferry en est quitte pour attendre sa réhabilitation, pour écrire des lettres explicatives à ses amis. La paix est maintenant faite avec la Chine ; le ministre des affaires étrangères, M. de Freycinet en a récemment donné la nouvelle avec une certaine satisfaction au sénat et à la chambre des députés. Le traité a été signé, il commence à être exécuté. La France a le Tonkin, — à la condition de le prendre, de l’occuper, et d’y laisser pour assez longtemps sans doute un corps d’armée chargé de garder notre conquête, d’étendre son action protectrice dans l’Annam et au Cambodge. Tout cela est, ou paraît pour le moment réglé ; une mise en accusation des anciens ministres n’aurait plus été qu’une vaine et puérile représaille. La discussion elle-même ne pouvait plus être que ce qu’elle a été réellement une échauffourée sans but après la bataille. Le chef du nouveau cabinet, M. Brisson, l’a pensé et l’a dit justement. Soit ! Il ne faudrait pourtant pas aller trop loin et être la dupe d’une illusion complaisante ou intéressée d’un autre genre ; il ne faut pas imaginer qu’il n’y a qu’à jeter un peu de cendre sur tous ces faits et à n’en plus parler. Ceux qui ont disposé des forcés et des ressources du pays sans prévoyance et sans mesure gardent assurément leur responsabilité devant la France, et c’est bien le moins que la France qui paie toujours, à ce qu’on dit, soit éclairée sur les fautes dont elle porte le poids, sur ses affaires mal conduites, qu’elle sache à qui elle doit d’avoir à payer les frais d’une liquidation qui est encore loin d’être terminée. M. le président du conseil y met un peu trop de naïveté ou de bonne volonté s’il se figure qu’il suffit de convoquer les républicains de toute nuance à la grande trêve des élections, de leur demander de se taire pour ne pas se diviser, de jeter un voile sur le passé et de ne regarder que l’avenir, de tout subordonner en un mot à ce qu’il appelle « la concentration des forces républicaines » à la veille du scrutin. Cela équivaudrait à dire : Il est vrai, il y a eu bien des fautes, les affaires de la république ont été médiocrement dirigées, les embarras sont partout ; mais n’en parlons plus pour l’instant de peur que le pays ne nous demande aux uns et aux autres des comptes trop sévères. Serrons nos rangs pour l’intérêt commun, afin de garder aux élections une majorité telle quelle et d’avoir le droit de recommencer après le scrutin ! La « concentration, des forces républicaines, » c’est le mot d’ordre de M. le président du conseil ; c’est le thème invariable de ses discours et son programme pour les élections prochaines. C’est la seule considération sérieuse qu’il ait invoquée dans le récent débat sur la mise en accusation des anciens ministres. C’est aussi la grande raison dont il s’est fait une arme dans cette discussion du scrutin de liste, qui s’est promenée il y a quelques jours du Palais-Bourbon au Luxembourg, du Luxembourg au Palais-Bourbon, et qui s’est terminée par le vote définitif du nouveau système électoral. À parler franchement, il