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chef du dernier cabinet déclarait sans cesse aux chambres qu’il n’y avait pas de Chinois au Tonkin, que c’était une illusion ; il savait, puis » qu’on le lui avait dit positivement, que les Chinois étaient partout jusque dans le Delta, qu’ils étaient résolus à défendre le Tonkin, qu’on n’aurait plus affaire cette fois aux Chinois de 1860. Il est hors de doute maintenant que le traité négocié par M. Bourée, avant l’effusion du sang et les dépenses démesurées, offrait à peu de chose près autant d’avantages que le traité de Tien-Tsin qui vient d’être renouvelé. Il est avéré enfin que les opérations de guerre ont été toujours soumises à de singulières influences, que la plupart des chefs militaires, M. le général Campenon, M. le général Négrier, M. le général Millot étaient peu favorables à cette dernière marche sur Lang-Son, qui n’a été exécutée que par une volonté supérieure et qui a si malheureusement fini. Oui, sans doute, tout cela est écrit, tout cela est vrai, le dernier président du conseil a certainement abusé les autres en s’abusant peut-être lui-même ; mais enfin, à voir les choses simplement sans tout pousser à l’extrême, c’est une affaire politique qui a été tranchée par un vote politique. Le seul procès possible a été jugé le jour où le cabinet qui a conduit la guerre du Tonkin a expié par une chute soudaine, foudroyante, les fautes qu’il avait commises. C’est la responsabilité devant le parlement, la vraie responsabilité qu’on ne pouvait songer sérieusement à dépasser, d’autant plus qu’aller au-delà, c’était soulever une autre question étrangement délicate. Si M. Jules Ferry a été le principal coupable, il n’a pas été le seul. Il a eu pour complices dans le parlement ceux qui lui ont tout permis, qui se sont prêtés avec une complaisance empressée à tout ce qu’il a voulu, ceux qui ont pu connaître la vérité dans les commissions et qui n’ont su ou qui n’ont voulu rien voir, rien lire que par les yeux du dernier président du conseil. Il a été soutenu par une série d’ordres du jour de confiance qui l’ont suivi jusqu’au bout, jusqu’à la veille de cette étrange séance où il a subitement perdu la parole pour ne la retrouver que lorsqu’il n’était plus temps. Entre ceux qui ont dirigé l’entreprise du Tonkin et ceux qui l’ont approuvée, encouragée, glorifiée, la solidarité est complète, de sorte que la mise en accusation du ministère était, par le fait, implicitement, la mise en accusation de la majorité elle-même. On n’espérait pas apparemment que cette majorité qui a soutenu M. Jules Ferry, qui le regrette peut-être encore, se mît avec lui sur la sellette. La question est de celles qui ne relèvent d’aucun tribunal constitué, dont le pays est seul juge.

M. le président du conseil a évidemment obéi à l’inspiration de la plus simple prudence en demandant à la chambre d’écarter les propositions accusatrices contre ses prédécesseurs, en essayant même de prévenir une discussion inutile. Il n’y avait sans doute rien de mieux à faire dans une situation jusqu’à un certain point nouvelle. Le dernier ministère a payé ses fautes d’une chute retentissante dont il a été