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reproché sa faute, mais il avait coutume de répondre : « Quand une mère veut sauver son enfant, elle n’a jamais les bras trop longs. » Ne chicanons donc point M. Puvis de Chavannes. S’il n’avait pour tout bagage que des incorrections et des fautes de dessin, nous ne songerions même pas à lui. Mais il rachète ses défauts par des qualités de plus en plus rares aujourd’hui. S’il a beaucoup péché, il a aussi beaucoup aimé et beaucoup exprimé.

Dans les groupes de peintres qui se multiplient à l’infini et auxquels nous donnons le nom d’écoles, faute de trouver une autre expression, après l’école néo-classique, l’école historique et l’école décorative, nous découvrons un groupe qu’on pourrait appeler à la rigueur l’école fantaisiste et qui est représenté par plusieurs toiles agréables dont l’une est gigantesque : les Maures en Espagne après la victoire : Clairin fecit.

L’école orientale est brillamment mise en relief par un Étranglement de femmes coupables, dû au pinceau de M. Benjamin Constant. Les cadavres ont été jetés les uns sur les autres au milieu d’un harem à peine éclairé. La lumière, sagement mesurée, glisse sur les corps nus et se joue dans les cheveux dénoués des femmes en allumant des étincelles au casque d’un garde nègre. Le titre du tableau et une large tache de sang qui va s’amincissant jusqu’au bord d’un bassin circulaire, dont elle rougit les eaux, nous indiquent qu’il s’agit d’un carnage. Au premier abord, on pouvait croire à une sieste ; il faut un examen approfondi pour découvrir au cou des femmes le lacet fatal qui a vengé l’honneur du maître. Les pécheresses sont au nombre de huit ou dix, ce qui témoigne que leur unique mari a été terriblement offensé. Les adultères paraissent s’être effroyablement accumulés sur sa tête, et cette réflexion, qui, malgré qu’on en ait, amène un léger sourire sur les lèvres, gâte un peu cette belle toile, à la fois éclatante et sombre.

Le véritable maître de l’école orientale est M. Guillaumet. Cet artiste excellent nous parait avoir réalisé dans le genre qu’il affectionne l’union fraternelle et féconde de la science traditionnelle et classique avec les tendances modernes : la distribution savante de la lumière, les oppositions ingénieuses de la couleur, éclatent dans ses œuvres ; à côté de l’étude consciencieuse, exacte, précise du corps humain, il a la science de la perspective, la passion laborieuse de la vérité. ; il appartient aux classiques par son savoir, par la sûreté et la simplicité de l’exécution, à l’école nouvelle par l’originalité heureuse du coloris, par la recherche subtile de la lumière.

M. Guillaumet nous conduit enfin à l’examen de cette école nouvelle, école ardente, emportée, prompte à la lutte, qui prétend nier l’école néo-classique et qui s’attaque violemment à toutes ses traditions