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Moins d’un an après éclatait un nouveau scandale, plus pénible encore pour la veuve de Molière, le procès Guichard. Ce fut le 16 juillet 1676 que l’ennemi de Lulli lança le factum où elle était si maltraitée. J’ai assez parlé du personnage pour qu’il ne soit pas utile de le présenter à nouveau. Mais les imputations infamantes que nous connaissons déjà n’étaient qu’une faible partie des injures dont il couvrait Armande. Il est impossible de transcrire au long le passage qui la concerne ; quelques lignes feront juger du reste : « La Molière, disait-il, est infâme de droit et de fait, » c’est-à-dire par sa profession et son inconduite ; « avant que d’être mariée, elle a toujours vécu dans une prostitution universelle ; pendant qu’elle a été mariée, elle a toujours vécu dans un adultère public ; enfin, qui dit La Molière dit la plus infâme de toutes les infâmes. » L’exagération même de ces injures leur enlève jusqu’à l’apparence du sérieux, d’autant plus que Guichard traite avec la même violence de calomnies sans preuves tous ceux dont il redoute le témoignage. Il était très protégé, semble-t-il, en raison de sa charge d’intendant des bâtimens de Monsieur ; mais il n’y eut pas moyen de lui épargner les conséquences de sa mâle rage. L’accusation d’empoisonnement qui pesait sur lui fut reconnue fondée et, le 27 février 1676, il s’entendit condamner au blâme, à l’amende honorable, à 4,000 livres de dommages-intérêts et 200 livres d’amende ; les imprimeurs de son factum devaient être appréhendés au corps et poursuivis. On remarquera la sévérité avec laquelle la justice frappait à deux reprises deux accusateurs d’Armande. Si elle eût été la femme absolument décriée que disent ses ennemis, aurait-elle obtenu réparation aussi complète ?

On trouvera sans doute que les ennuis suscités à la malheureuse femme par ces deux affaires suffisaient, avec le soin de son théâtre et l’exercice de sa profession, pour l’absorber tout entière et lui enlever tout désir de suivre des intrigues galantes. Aussi n’y a-t-il pas lieu de discuter celles que la Fameuse Comédienne lui prête encore à la même époque. Pouvait-elle, ainsi tourmentée, calomniée, surchargée d’embarras de tout genre, ne pas désirer un protecteur et un appui ? Peut-on, sa situation une fois connue, ne pas reconnaître que la nécessité d’un second mariage s’imposait à elle ? Ce qui prouve bien que, dans le premier, tous les torts n’étaient pas de son côté, c’est que, devenue la femme de Guérin, elle vécut parfaitement heureuse et que sa conduite ne donna plus lieu à aucun bruit fâcheux. L’auteur de la Fameuse Comédienne, lui-même, est obligé de le reconnaître ; il s’empresse, naturellement d’expliquer cette sagesse à sa façon en disant qu’Armande avait trouvé cette fois un maître impérieux et dur ; mais les témoignages désintéressés